jeudi 24 octobre 2019

Un cadre nouveau...

Que souhaitent les Directrices et Directeurs d'école ?

Ils veulent travailler dans la sérénité, c'est à dire pouvoir exercer leur charge de Direction au quotidien sans avoir simultanément à gérer leurs élèves, car aujourd'hui les deux fonctions de Directeur et d'enseignant s'entravent souvent l'un l'autre. Ceci n'était pas le cas lorsque j'ai débuté mon métier de Directeur il y a vingt ans. Serait-ce parce que notre institution a trop chargé la barque ? Certainement en partie, mais mon expérience me montre surtout que d'une part nos élèves ont changé et que leur besoin d'attention individuelle a pris des proportions importantes, et d'autre part que les nécessités de la mission du Directeur d'école ne sont plus du tout les mêmes. Les besoins des familles ou de nos autres interlocuteurs sont souvent immédiats, la sécurité de nos écoles et de nos élèves ne peut attendre, nous travaillons trop dans l'urgence et notre responsabilité est trop fortement engagée pour que nous nous permettions de nous abstenir de répondre à un coup de téléphone, de prévenir immédiatement la mairie d'un problème matériel ou sanitaire, ou de vérifier si les absences de nos élèves sont ou non justifiées.

Dans ce cadre nouveau, continuer à pouvoir enseigner aux élèves devrait être un choix et non une charge. Mais si les Directrices et Directeurs actuels s'imaginent qu'un temps de "décharge" augmenté suffirait à leur bonheur, ils se fourent le doigt dans l’œil, car cela n'enlèverait rien au poids quotidien de leur travail. A mes yeux le Directeur devrait n'avoir aucune charge de classe, mais pouvoir exercer auprès des élèves selon ses disponibilités et les besoins de son école.



Observons donc autour de nous : cette possibilité existe-t-elle ? Pas à ma connaissance. Le statut actuel des "personnels de Direction" ne répond aucunement à ma vision des choses. C'est donc un statut spécifique au primaire que je pense nécessaire, un statut non plus de professeur des écoles chargé d'une Direction, mais un statut de Directeur issu du corps des PE et pouvant éventuellement enseigner. J'inverse donc le système actuel. Plus même, je réclame un statut fonctionnel, c'est à dire uniquement attaché à la fonction lorsqu'un enseignant souhaite l'exercer, mais qui autorise le retour éventuel au corps des PE. Cela impliquerait évidemment que la fonction de Directrice ou Directeur d'école serait rémunérée non avec une échelle spécifique mais en points d'indice supplémentaires (bonification indiciaire) ou avec une prime, que le retour au corps des PE ferait disparaître. Il n'y aurait donc aucune discrimination, la fonction étant accessible à tous à condition d'être en amont enseignant du primaire.

Le Directeur d'école n'a donc plus charge de classe. On peut imaginer que dans une "petite" école sa disponibilité est alors suffisante pour lui permettre d'exercer son métier sans difficulté majeure. Cela pose néanmoins un problème budgétaire pour l'Etat : les 45 000 écoles actuelles nécessitent déjà à la louche aujourd'hui environ 12 000 PE pour exercer les temps de "décharge" nécessaires, sur près de 30 000 "remplaçants" (pour 251 000 classes), et comme il n'est pas question de piocher dans ce contingent déjà réduit mais indispensable, il faudrait créer plus de 30 000 postes... pour un résultat peu probant car les limites du système seraient vite atteintes. Effectivement à partir de sept ou huit classes un Directeur est rapidement saturé par ses devoirs et ses responsabilités, et certaines périodes de l'année sont largement plus lourdes que d'autres. Je n'oublie pas que Christine Renon n'avait "que" onze classes à gérer, de maternelle certes, et que son absence de charge de classe ne l'a pas empêchée de craquer. Celles et ceux qui me lisent et sont dans des situations similaires ou pires comprennent de quoi je veux parler.

Alors il n'est pas impensable d'imaginer les Directrices et Directeurs d'école entourés d'une équipe, comme le sont les chefs d'établissement du collège par exemple. Un secrétariat, un CPE... Mais évidemment mon précédent discours sur la contrainte budgétaire que cela implique prend une ampleur disproportionnée. Seule solution : la fusion d'écoles. Combien de communes françaises n'en ont que deux, une maternelle et une élémentaire, qui bénéficieraient avantageusement d'une telle fusion ? Elle serait d'abord logique et supprimerait la question des admissions annuelles en CP, une école maternelle n'abondant souvent de ses élèves qu'une seule école élémentaire. Pédagogiquement elle serait certainement souhaitable, favorisant projets communs et répondant mieux aux besoins des élèves en difficulté, autorisant un réel suivi et des aménagements de scolarité sur tout le cursus. Elle permettrait également aux enseignants de travailler du cycle 1 au cycle 3 selon leurs envies, ou de "suivre" une classe de GS au CP pour faciliter ce passage parfois difficile. Les Directrices et Directeurs d'école qui gèrent actuellement une école "primaire" savent tout l'intérêt de ne plus avoir deux écoles séparées administrativement. L'éloignement éventuel des bâtiments ? Dans la mesure où le Directeur n'aurait aucune charge de classe, cela ne poserait pas de vraie difficulté.

Deux points méritent notre attention quant à la fusion des écoles : d'abord la question territoriale, ensuite celle des effectifs. A l'heure actuelle une fusion n'a pas un énorme intérêt pour le Directeur : passer de six classes avec une journée de décharge à dix avec deux journées ne changera rien pour lui, la charge même pourra empirer avec la gestion éventuelle de deux sites. Dans le cadre que j'ai défini plus haut en revanche cela devient intéressant, et je vais m'expliquer. Une fusion doit être logique territorialement, c'est à dire que les communes ou autres regroupements doivent pouvoir choisir sans jamais oublier l'intérêt des élèves ni des familles; à ce titre le rapport d'information récent du Sénat dont j'ai parlé dans un billet précédent est passionnant à lire, qui ne cache rien des préoccupations des élus ruraux quant à cette logique de territoire en termes par exemple de bassin, de distance, de transport. La question est tout autant valable dans une métropole, avec de plus la question cruciale des effectifs. J'ai souvent entendu les adversaires du projet du GDiD exprimer - avec raison - leur crainte de la constitution d' "usines à gaz" réunissant plus de classes que nécessaire, avec plusieurs centaines d'élèves. Je pense qu'évidemment l'Etat devrait avoir dans ce domaine un rôle régulateur face à des choix peu pertinents d'élus. Mais je n'oublie pas que ces "usines à gaz" existent déjà qui regroupent dix-huit, vingt, vingt-cinq classes... ou plus ! Oui, elles existent. Je ne doute pas une seconde que je recevrai après la parution de ce billet un certain nombre de témoignages de Directrices et Directeurs exaspérés.

Le rapport du Sénat que j'ai évoqué plus haut peut nous éclairer. Pour l'Etat, il existe une seuil de "viabilité pédagogique", c'est à dire qu'en-dessous d'un certain nombre d'élèves on observe une perte de moyens budgétaires et matériels, ainsi qu'une fuite des familles. Je cite :

" [...] Le seuil de 200 élèves est souvent évoqué par les autorités académiques comme un seuil de viabilité pédagogique. Or, les collèges de moins de 100 élèves sont une réalité, particulièrement dans les zones de montagne. Le maillage des collèges étant plus lâche et impliquant déjà davantage de temps de transport pour les élèves, la rationalisation du réseau des collèges en est d'autant plus difficile.

[...] Du point de vue de l'éducation nationale, la politique de concentration scolaire permet :
- d'assurer la qualité des enseignements, notamment lorsque le nombre d'élèves par classe est insuffisant ;
- de répondre à la problématique d'attractivité des postes d'enseignants, qui mène à l'affectation d'enseignants débutants voire à des vacances de poste, à des difficultés de remplacement ;
- d'améliorer les conditions matérielles d'apprentissage des élèves (bâti scolaire, restauration, accès aux terrains de sport ou zux bibliothèques, équipement numérique) ;
- de mieux répondre à l'impératif d'inclusion scolaire, par la constitution de structures adaptées (ULIS) ;
- de renforcer l'offre périscolaire et extrascolaire.

Comme l'a confié à la mission d'information un IA-DASEN, les regroupements scolaires visent, en accroissant la qualité de l'offre éducative des écoles rurales, à mettre fin à une réalité souvent tue qu'est l'évitement des petites écoles par des familles, dont un certain nombre font le choix de scolariser leurs enfants dans les chefs-lieux de canton. M. Renaud Averly, président de la communauté de communes du pays rethelois, rapportait que la transformation d'un RPI dispersé en un RPI concentré dans un pôle scolaire avait porté ses effectifs de 170 à 225 élèves, par le seul tarissement des « fuites » vers la ville. [...] "

Ce seuil de 200 élèves est facile à atteindre dans le primaire dans le cas d'une fusion. Mais il faut garder une chose à l'esprit et ne pas en démordre : c'est l'intérêt de nos élèves qui prime ! Ce qui signifie qu'il ne faut pas s'interdire des fusions plus petites, ni imaginer qu'il soit absolument nécessaire d'en faire beaucoup plus ou encore d'en trop restreindre la taille. Faudrait-il donner une ampleur maximale ? Je le pense. Comme je pense que scinder certaines écoles monstrueuses d'aujourd'hui ne serait pas forcément une erreur. Pourquoi ne pas construire de nouveaux bâtiments, plus modernes, adaptés à nos besoins pédagogiques, et de taille raisonnable pour conserver des rapports humains constructifs ? L'aide de l'Etat serait la bienvenue. Et ce serait une belle et grande évolution pour l'Education nationale.

Dans ce cadre nouveau un Directeur d'école, chef d'établissement fonctionnel du primaire, aurait toute sa place et prendrait toute son ampleur. Assisté d'une équipe administrative et pédagogique, il pourrait tout donner pour la réussite des élèves de son établissement. A condition d'avoir les moyens de son action. Et cela pour moi passe par une nouvelle définition de l'école. Elle n'a aujourd'hui aucun statut, certaines décisions forcément ne peuvent pas être prises "en interne" puisqu'elle dépend directement de l'institution. Ainsi par exemple la gestion des absences : depuis la rentrée 2019 les enfants de Petite Section qui s'endorment à midi le nez dans leur assiette ne peuvent faire la sieste chez eux sans le consentement explicite d'un IEN; un Directeur d'école chef d'un établissement juridiquement reconnu aurait le droit d'en décider lui-même, puisqu'il en prendrait la totale responsabilité aux yeux de la Loi. J'en passe et des meilleures. Comme Directeur d'école je revendique haut et fort le droit de pouvoir faire moi-même certains choix. Et d'en assurer en pleine connaissance la responsabilité judiciaire.

Dois-je exprimer qu'un Directeur d'école chef d'un établissement à l'existence juridique reconnue aurait une autre envergure face à des familles difficiles ? Et puis gérer des cas compliqués en équipe administrative, avec un référentiel clair, est certainement plus facile que seul comme aujourd'hui. Comme Directeur il m'est arrivé de nombreuses fois de me faire engueuler devant mes élèves et leurs parents, au seuil de ma classe. Si je peux épargner ça à ceux qui exerceront mon métier, je suis prêt à beaucoup.

J'ai une certaine vision de l'école. Vieil instituteur, je n'ai pas la nostalgie d'une époque révolue même si je regrette la facilité passée d'exercer mes deux métiers. Tout a changé, il faut en tenir compte, nous n'enseignons plus comme il y a quarante ans, les besoins et les revendications des familles sont différents, les rapports humains aussi ne sont plus aussi simples et honnêtes. Il est temps, largement temps, d'imaginer une autre école.


mardi 22 octobre 2019

Les nouveaux territoires de l'éducation...

Un document passionnant vient d'être mis en ligne sur le site du Sénat. Nos sénateurs sont des élus des "territoires", on comprend donc l'intérêt et la préoccupation de la chambre haute pour la fracture territoriale. Ce Rapport d'information de MM. Laurent LAFON et Jean-Yves ROUX s'intitule "Les nouveaux territoires de l'éducation" et s'intéresse particulièrement au tissu éducatif rural. Au-delà des constats chiffrés, il nous expose également quelques exemples actuels d'organisations différentes du système scolaire, ainsi que des propositions innovantes qui rejoignent en grande partie mon discours permanent quant à la nécessaire réinvention de l'école.

Ce rapport pourfend au passage une vision stéréotypée de l'école rurale telle qu'elle est encore véhiculée par certains syndicats qui se croient encore en 1878 lorsque la loi obligea les communes à posséder et donc souvent à construire leurs écoles, leur proposant même des plans types.



Lorsque j'écris que ce sera aux territoires de faire leurs propres choix de regrouper ou non les écoles, et non à l'éducation nationale, c'est dans un objectif d'efficience et de synergie. Qui mieux que les communes d'un canton pourront décider de ce qui correspond aux besoins de leur population ? Il n'est pas écrit autre chose dans l'avant-propos :

"Il ne s'agit pas de remettre en cause la définition au niveau central des principes et du contenu de l'enseignement scolaire, garante de l'égalité et de l'unité de notre pays. Mais, la mission d'information a souhaité savoir si cette politique prenait en compte les spécificités et les besoins des territoires. En effet, si la République est une, les territoires de la France sont multiples, avec des contraintes, des difficultés, ou au contraire des avantages, que l'on ne peut passer sous silence. [...]

À l'issue de ce travail, la mission d'information regrette que la politique éducative demeure trop centrée autour de deux éléments : l'échec scolaire et la situation socio-économique des parents. La donnée territoriale et les spécificités et besoins des territoires, nés de la géographie ne sont que trop peu pris en compte, voire méconnus par le ministère de l'éducation nationale. Elle ne l'est que dans les réseaux d'éducation prioritaire, - et encore très partiellement - créant de fait une dichotomie entre l'éducation en réseau d'éducation prioritaire (REP) d'une part, et hors réseau prioritaire d'autre part. La mission d'information plaide ainsi pour une approche plus progressive, permettant de prendre en compte les établissements hors REP, mais connaissant de réelles difficultés."

La DEPP (direction des études, de la prospective et de la performance) met en place actuellement une nouvelle grille d'analyse territoriale, fondée sur le degré de ruralité et d'urbanisation des communes disposant d'une école ou d'un établissement.

"Plusieurs types d'écoles sont désormais identifiés en fonction de leur localisation :
- la ruralité « éloignée », peu dense et très peu dense ;
- la ruralité « périphérique » peu dense et très peu dense ;
- les petits bourgs et petites ville de l'espace rural ;
- l'« urbain périphérique peu dense » ;
- l'urbain dense et très dense.
Selon cette typologie, la répartition en métropole du nombre d'établissements, des élèves et des enseignants dans les écoles et collèges est la suivante :


Contrairement donc à ce qu'on peut imaginer, les élèves français sont très nombreux - et dispersés - dans "la ruralité".

" [...] en 2017, l'espace rural - tel que défini par la mission ruralité de l'IGEN et l'IGAENR20 - comptait ainsi 36 % des écoles de France métropolitaine, scolarisant 20 % des écoliers ; 45 % des écoles de l'espace rural comptaient une ou deux classes et 38 % des collèges avaient moins de 200 élèves."

En fonction de ces chiffres, le rapport préconise de revoir la répartition des budgets de l'éducation nationale.

"La mission d'information constate ainsi que le critère territorial n'est pris en compte que dans de très rares exceptions. C'est le cas de la notion de « zones urbaines sensibles », qui rejoint la politique de la ville : sa définition repose - mais pour partie seulement - sur un critère géographique. Paradoxalement, cette première incursion territoriale est source d'inégalités géographiques supplémentaires, puisque par nature, la notion de « zones urbaines sensibles » n'inclut pas les territoires ruraux. Notre collègue Olivier Paccaud s'en été d'ailleurs ému dans une question orale de décembre dernier, indiquant que le recours à ce critère pour définir les écoles éligibles à la politique de l'éducation prioritaire «peut s'avérer un critère injustement discriminatoire, puisqu'il restreint un soutien scolaire aussi indispensable en milieu rural ». [...]

Aussi, la mission d'information partage l'analyse de M. Jacques Lévy, professeur de géographie à l'Université de Reims Champagne-Ardenne lequel a indiqué lors de son audition la nécessité d'une territorialisation de la politique éducative afin de « passer de l'uniformité inégalitaire à la différenciation égalitaire ».

Les moyens accordés par l'état (dotations budgétaires, matériels, postes d'enseignants...) sont primordiaux et inégalitairement répartis. Mais il faudrait pas croire que les petites communes sont restées aveugles et immobiles face aux besoins éducatifs de leur territoire. Elles sont nombreuses depuis plusieurs décennies qui ont choisi de mutualiser leurs moyens financiers et techniques en créant des RPI ou des ERR.

"À la rentrée scolaire 2017, l'on comptait 4 949 RPI, dont un tiers sont des RPI concentrés (1 648), dans lesquels étaient scolarisés 531 648 élèves. Si le nombre de RPI n'a que très légèrement augmenté depuis une quinzaine d'années, les RPI concentrés sont de plus en plus nombreux : ils n'étaient que 962 en 2003-2004. [...]
Mis en oeuvre sous l'impulsion d'une circulaire de 1998, les réseaux d'écoles ou écoles rurales en réseau (ERR) sont des regroupements d'écoles ou de RPI de plusieurs communes autour d'un projet pédagogique commun, avec souvent une mise en commun d'équipements (sportifs, informatiques...) par les communes concernées. Ils n'ont pas vocation à modifier la structure pédagogique des écoles et des classes existantes. On recensait 170 réseaux d'écoles à la rentrée 2017.
Des expérimentations ont également associé une ou plusieurs écoles et leur collège de secteur, afin de renforcer la continuité des parcours des élèves, notamment dans le cadre du cycle 3, et de favoriser les synergies (échanges de service entre professeurs, mutualisation de moyens administratifs, actions communes). Elle peut prendre la forme d'une mise en réseau ou de l'implantation physique d'une école primaire dans un collège."

Je n'ai jusqu'à présent jamais entendu quiconque se plaindre d'une telle organisation - si j'excepte certaines bisbilles entre élus - et surtout pas les enseignants qui ne sont plus isolés, peuvent construire des projets qui fédèrent énergies et échanges, sont parfois regroupés dans des structures neuves, et ont souvent plus de matériel parce qu'un budget commun l'autorise. Sans oublier l'éventuelle disponibilité ou création d'équipements sportifs mutualisés voire d'une piscine intercommunale dont le coût est alors supportable. L'intérêt pédagogique de telles structures - car la réussite des élèves restera pour moi un leitmotiv inébranlable - me parait difficile à contrer. Je n'ai jamais non plus entendu personne se plaindre que la Directrice ou le Directeur ne soit pas forcément "sur place", ce qui peut faire pièce aux craintes irraisonnées qui me vienne régulièrement aux oreilles lorsque j'évoque la nécessaire fusion d'écoles ou leur regroupement territorial sous la direction d'un chef d'établissement du primaire.

L'exemple donné ci-dessus des collèges est particulièrement intéressant pour moi, dans le cadre des regroupements d'écoles que je persiste à penser aujourd'hui indispensables. Je veux attirer votre attention sur quelques chiffres particulièrement parlants donnés par la mission d'information.

"L'attention de la mission d'information a été attirée sur l'avenir des petits collèges ruraux, également touchés par la déprise démographique et qui semblent à terme menacés dans certains départements.

Le seuil de 200 élèves est souvent évoqué par les autorités académiques comme un seuil de viabilité pédagogique. Or, les collèges de moins de 100 élèves sont une réalité, particulièrement dans les zones de montagne. Le maillage des collèges étant plus lâche et impliquant déjà davantage de temps de transport pour les élèves, la rationalisation du réseau des collèges en est d'autant plus difficile."


Combien d'écoles en France comptent largement plus d'élèves que ces collèges ? Pourtant celles-ci ne disposent d'aucun moyen pour appuyer leur travail, les Directrices et Directeurs d'école doivent faire face seuls à toutes les responsabilités pédagogiques, administratives, d’organisation et relationnelles qui leur incombent. Ce qui n'est pas propice à la stabilité des personnels lorsque ceux-ci travaillent dans des conditions indignes de notre époque.

"Tant les collectivités locales, que les établissements scolaires mènent au niveau local de nombreuses expérimentations. Mais celles-ci butent sur plusieurs obstacles : absence de synergie avec l'éducation nationale, une multiplicité d'acteurs ne partageant pas le même langage ou la même conception du projet éducatif, ou encore le départ de la personne ressource entraînant une stagnation, voire un recul des projets menés."

Notons parallèlement la multiplicité des interlocuteurs au sein de l'institution. Si le chef d'établissement du collège possède les compétences juridiques nécessaires aux projets co-construits avec les élus de son secteur, ce n'est aucunement le cas du Directeur d'école. Un chef d'établissement du primaire serait autrement plus utile.

"La multiplicité des interlocuteurs de l'État, aux périmètres de compétence et aux responsabilités divers, a été citée comme une source de difficulté pour les élus locaux.
Lors de leur audition, les représentants de France urbaine ont ainsi mis en avant qu'ils étaient confrontés à « trop d'interlocuteurs à chaque strate - directeur d'école, chef d'établissement, IEN de circonscription, IEN-ASH, etc. - tous n'ayant pas forcément de pouvoir de décision » et soulignaient la nécessité d'avoir des interlocuteurs, sinon unique, au moins en nombre suffisant.
[...] En outre, la carte des circonscriptions du premier degré et celle de la sectorisation des collèges - qui relèvent de procédures différentes - ne coïncident que très rarement, ce qui constitue un frein non négligeable au développement de projets pédagogiques alliant écoles et collège."

Les territoires ruraux méritent d'être mieux considérés. L'égalité de droit, pourtant inscrite dans la Constitution, n'y est pas respectée. Que les enfants de ces territoires n'aient pas accès aux mêmes possibilités que ceux des métropoles est aujourd'hui une inégalité structurelle à laquelle il est indispensable de mettre fin.

On va me rétorquer avec justesse que la constitution d'établissements du primaire ne va pas de soi partout. Effectivement le maillage scolaire reste encore en partie diffus, surtout dans des régions de montagne. Mais cette diffusion s'estompe progressivement. Ainsi entre 1990 et aujourd'hui le nombre de classes uniques a diminué de moitié.


Il en reste néanmoins beaucoup, et clairement toutes ne pourraient pas si facilement se joindre à un regroupement. Même si la synergie des volontés et des moyens justifient la création des établissements du primaire, il ne peut être question d'y procéder à marche forcée, partout et simultanément. Il ne faut pas oublier qu'une offre éducative de proximité reste primordiale pour nos élèves, il n'est donc pas question de supprimer bêtement des écoles au nom de la modernité. Ceux qui voudraient faire croire que c'est ce que je réclame font une lourde erreur.

"La mission d'information considère que le maintien d'une offre scolaire de proximité, partout sur le territoire, est au fondement de notre contrat social. Ce choix politique doit primer sur les considérations gestionnaires et budgétaires."

Il restera donc pendant longtemps des écoles, à charge pour l'Etat de faciliter leur travail et de veiller à l'égalité territoriale. D'autant que la question des transports des élèves est primordiale, qu'il s'agisse du coût ou du temps.

"Comme l'a affirmé la direction générale de l'enseignement scolaire devant la mission d'information, dans le premier degré il n'est ni possible, ni souhaitable de définir au niveau national une grille uniforme avec des seuils d'ouvertures et de fermetures de classe. Pour la mission d'information, ces réflexions, ainsi que celles sur l'offre de formation et l'enseignement de proximité ne peuvent faire abstraction de la question des temps de trajet des élèves. Or, la mission d'information a constaté que la dimension « temps de trajets des élèves » est très mal connue par l'éducation nationale. En effet, le transport des élèves ne relève pas de sa compétence mais de celle des collectivités territoriales. De l'aveu même de la DEPP lors de son audition, les transports scolaires constituent « l'angle mort de la DEPP pour l'estimation du temps de transport ».

[...] Des temps de trajets très - trop - longs peuvent avoir des conséquences sur la réussite scolaire. Comme l'indique cette étude, « cette variation du temps de transport peut être source d'inégalités. À tel point que certains « décrocheurs », comme des garçons scolarisés en lycée professionnel, motivent leur décrochage par un faisceau de facteurs où l'on peut trouver des temps de transport jugés trop longs ».
La mission d'information juge essentiel de disposer de données plus complètes sur la durée des temps de trajets des élèves, ainsi que leurs effets sur la scolarité des élèves. Or, cet enjeu n'est pas suivi par le ministère et, plus largement, ne fait pas l'objet d'études nationales consolidées que ce soit en termes de temps de transports, de tarifs ou encore d'impacts sur les apprentissages.

[...] La mission d'information s'est interrogée sur l'opportunité d'édicter une limite maximale de temps de trajet entre le domicile de l'élève et l'établissement scolaire, à l'instar des propositions de l'association des maires ruraux de France - laquelle propose une limite maximale de 30 minutes de trajet - ou de la mission « Agenda rural » - 20 minutes maximum de trajet pour le primaire. Toutefois, elle tient à rappeler que toute création de seuil plafond uniforme peut se heurter à des cas spécifiques. Aussi, il lui parait important de laisser à l'intelligence territoriale le soin de mieux prendre en compte cette dimension. Pour cela, un travail concerté avec les collectivités territoriales, les parents d'élèves, les recteurs et les DASEN est nécessaire."

Ainsi pendant de très longues années subsisteront encore des écoles dans certains secteurs ruraux, mais pour autant il ne faudrait pas imaginer que les élus de ces territoires soient nostalgiques d'une époque révolue, aveugles face à la réalité de leurs communes, ou sourds à la modernité. Les déplacements y sont indispensables pour bénéficier de la plupart des services ou des commerces. Imaginer nos petits villages ou nos hameaux repliés sur eux-mêmes est une absurdité. Comme l'exprimer un élu :

" « Le mirage du principe "un village sans école est un village qui meurt" conduit à des aberrations où l'utilisation des locaux, et donc de l'argent public est totalement déconnectée des décisions. En zone de montagne où les communes possèdent souvent de nombreux hameaux et des centre-village les déplacements sont inévitables. Autant les organiser de façon rationnelle par rapport à la qualité de l'enseignement plutôt que par rapport à une image communale désuète. L'éducation nationale pourrait dans ces cas apporter l'expertise nécessaire pour éclairer les positions les élus."

Je ne saurais trop vous recommander la lecture complète de ce rapport passionnant, afin d'éclairer la vue et les discours. Le GDiD ne veut pas uniformiser l'école dans notre pays, il veut la changer pour l'adapter aux besoins de notre époque, qui restent multiples et différents. Certainement alors les Directrices et Directeurs d'école - comme les enseignants - trouveront matière à y travailler sereinement pour le bien de nos élèves, où qu'ils vivent et quelles que soient leurs origines sociales.


samedi 19 octobre 2019

50 questions... pourrions-nous négliger une main tendue ?

M. le Ministre de l'Education nationale a informé il y a quelques jours les syndicats que le ministère enverrait après les vacances de la Toussaint aux Directrices et Directeurs d'école un document comprenant cinquante questions.

Je crois qu'il ne faut pas se tromper quant à l'objectif de cette campagne de questionnement. Pour la première fois le ministère veut interroger directement les premiers intéressés, et non les "équipes" ou les "écoles" ou les centrales syndicales dont les positions sont parfaitement connues. En 2006 le GDiD avait commandé à l'IFOP un sondage auprès des Directeurs d'école, auquel plus de 10000 avaient répondu.


A l'époque l'IFOP elle-même reconnaissait le caractère exceptionnel du nombre de réponses.


A l'époque 73% des interrogés se prononçaient en faveur d'une reconnaissance claire du métier...


... et 93 % en faveur d'un statut spécifique !


En demandant aujourd'hui directement leur avis aux Directrices et Directeurs d'école, on peut montrer aux syndicats réfractaires que les agents de terrain que nous sommes, en charge d'un métier très particulier, ne voulons plus de ce statu quo hérité du XIXème siècle. L'école a changé, il lui faut un statut juridique clair qui lui apporte les moyens de son action auprès des élèves. Un nouveau statut de l'école apportera nécessairement un nouveau statut pour les Directrices et Directeurs d'école qui seront en charge de ces nouvelles école. Au GDiD nous souhaitons un statut fonctionnel (dont attaché à la direction d'une école), statut réservé aux enseignants du primaire, et qui nous permettrait de revenir à une mission d'enseignement qui en elle-même est aujourd'hui déjà compliquée. La question hiérarchique ? Billevesée ! Nous connaissons déjà très bien notre rôle de régulateur dans nos écoles, quand nous devons soutenir des enseignants en difficulté ou en contrer un dysfonctionnel. Depuis quelques années la fameuse "note" n'existe plus, les entretiens sont menés par nos IEN qui de toute manière nous demandent déjà notre avis. Cet épouvantail hiérarchique est une vue de l'esprit parfaitement absurde.

Mais nous devons rester réalistes : les moyens que nous réclamons - personnel de secrétariat, entre autres - sont spécifiquement attachés à une direction d'établissement, et personne ne pourra budgétairement transformer en établissements 45000 écoles dont 80% ont moins de quatre classes. Il y aura donc des sacrifices à faire, certains devront quitter leur poste, des regroupements d'écoles devront être faits qui devront être territorialement logiques (les deux écoles d'une petite commune, par exemple), ce qui implique qu'il y aura de petits établissements du primaire, et des gros, comme il y a aujourd'hui des petits collèges et des gros. Sauf que leur moyens aujourd'hui ne sont pas les nôtres. Je ne connais pas de Directrice ou Directeur d'école chargé de plus de dix classes qui refuserait de devenir chef d'établissement, et ce ne sont pas les collègues avec aujourd'hui quinze, vingt ou vingt-cinq classes qui me diront le contraire...

Qui en décidera ? Les territoires, en accord avec le ministère. Qui paiera ? Ce sera certainement un partage entre l'Education nationale et les communes, comme aujourd'hui, mais qui dit "établissement" suppose "budget", et les négociations avec les territoires quant à la répartition des charges seront certainement ardues. Comme seront ardues aussi celles quant à l'emplacement de ces établissements du primaire.

Je vois donc, dans ce questionnaire destiné aux Directrices et Directeurs d'école, une opportunité unique à ne surtout pas négliger. On nous tend la main, nous devons absolument la saisir pour arrêter de souffrir. Le surmenage, les "burn-out", les démissions, ça suffit ! Nous devons absolument contrecarrer les déclarations ineptes des syndicats qui réclament que rien ne change ou exaltent la "direction collégiale" au mépris des simples réalités. Deux choses sont en jeu : la réussite de nos élèves, et notre santé. Nous pouvons décider de l'avenir de l'école, faisons-le.

Ce qu'il adviendra des résultats de ce questionnaire, je l'ignore. Le Ministre a annoncé qu'ils seraient publics, une raison de plus pour se mobiliser. Quant à la suite... Mais nous pourrions-nous négliger une main tendue ?



mercredi 16 octobre 2019

Le temps ne fait rien à l'affaire...

Il existe un syndicat qui lorsqu'il parle des Directrices et Directeurs d'école nous apprend que (je cite)

" Il y a trois leviers pour améliorer les conditions d’exercice : le temps, la reconnaissance salariale, l’allègement de la charge de travail administratif. "

J'ai déjà évoqué la question du secrétariat. La reconnaissance salariale ? Oui, certainement, mais cela changera-t-il mes conditions de travail ?

En revanche la question du "temps" nécessaire au fonctionnement d'une Direction d'école est intéressante. Ayant charge de classe à temps plein j'apprécierais certainement d'y être remplacé au moins une journée par semaine. Mais croire qu'une telle mesure pourrait suffire est illusoire et pour le comprendre il peut être bon de prendre l'opinion des intéressés Directrices et Directeurs d'école qui n'ont aucune charge de classe, et pourfendre l'idée que notre métier consisterait principalement à remplir de la paperasse (ou plutôt du courriel) pour notre institution. Certes c'est une partie prenante de notre fonction, et qui s'est largement amplifiée depuis dix ans. Mais ce n'est pas forcément la plus contraignante ni la plus fatigante, même si l'alléger serait une bonne idée.

Voilà donc quelques témoignages supplémentaires. Les crochets indiquent qu'une partie du texte a été enlevée.

" [...] Je suis directeur en REP+, 16 classes, un dispositif ULIS école, 310 élèves, 20 collègues, 2 EFS, 6 ATSEM, 5 AESH, 2 professeurs d'ELCO, 2 services civiques, 3 assistants pédagogiques et j'en passe… et j'ai une décharge totale de classe.
Le privilège ultime… enfin c'est ce que je croyais avant d'avoir ce poste, quand j'avais 1 jour de décharge pendant 7 ans dans une école de 6 classes en RRS. Loin de moi la volonté de me plaindre, j'ai choisi d'être directeur et ce métier m'apporte beaucoup de satisfactions. Mais je suis tombé dans le piège: je suis devenu directeur de mon école 24h sur 24. Je travaille tous les soirs chez moi jusqu'à 21h [...] (je sais, c'est difficile à croire, mais les sollicitations permanentes quand je suis dans mon bureau m'empêchent de rédiger par exemple des comptes-rendus de réunions).
Il m'arrive fréquemment de me réveiller la nuit car je pense à des choses à ne pas oublier; je me lève et vais noter dans mon agenda. Personne ne le fait pour moi, je gère TOUT SEUL. J'ai la même charge de travail qu'un chef d'établissement mais je suis TOUT SEUL. Et toujours pas de statut... [...] "

" [...] comme j’ai une décharge totale je culpabilise d’oser dire que je n’ai le temps de rien, que tout est fait dans l’urgence permanente, que je fais des journées de 12 h avec des listes longues comme le bras que je n’arrive jamais à terminer ... et que mon mari pète de un câble parce que je bosse trop ... et pourtant il est enseignant ! [...] "

" [...] J’ai eu jusqu’à 341 élèves pour 13 classes dont une ULIS tout ça pour une demi décharge .... [...] Nous sommes tous dans la même galère : petites écoles sans décharges, écoles rurales, grosses écoles ... L’équilibre est tout simplement intenable dans la durée... avec quelles conséquences sur notre santé physique et mentale ? Même si je sais que certains collègues tiennent au fait de garder le contact avec une classe et refusent l’idée d une décharge totale, jongler avec les deux est vraiment très compliqué ... [...] "

" [...] 21 classes, 390 élèves, rep+... et le constat que c'est bien plus que du temps qu'il faut si l'on veut que ça fonctionne : redéfinir le métier de directeur, ses missions, ses responsabilités. Fournir des moyens humains, donner un pouvoir d'agir à la hauteur des responsabilités, protéger les personnels par un statut ... il y a tant de choses à faire... [...] "

" [...] 10 classes et une ulis 280 élèves 5 aesh, 13 collègues, 6 agents communaux et une journée en classe.( la pire journée de la semaine....) Et le portail... et le téléphone et les élèves en crise et 40 mails par jour...et seule... Impression d'un cerveau saucissonné, d' une pensée éclatée façon puzzle... Et après 10 à 11h de travail ininterrompu, pas de pause déjeuner...ou alors au lance pierre...harassée. [...] "

" [...] Oui, on pourrait être complexé lorsqu’on a une décharge totale tout comme moi, mais le fait est que rien n’est adapté à la réalité du terrain quelle que soit la taille de l’école!
Petite immersion dans vis ma vie de directeur : aujourd’hui, j’ai commencé un bilan de mes commandes à 8h47 (C’est pour le 17/10) mais ça n’a duré que 10mn30 avant de ne reprendre qu’à 14h42 pendant 17mn pour reprendre ce soir à 18h12... je n’avais pas anticipé que j’allais ouvrir la porte de l’école 38 fois, soigner 6 bobos blessures ou gastro, répondre aux demandes de 6 collègues, régler des soucis sur le temps périscolaire du midi, consulter voire répondre aux 52 mails de partenaires sociaux, médicaux, mairie, ou institutionnels... et accessoirement rester de bonne humeur pour le bien de tous... [...] "

" [...] 9 classes, un jour de bureau sans classe /semaine + une autre journée toutes les trois semaines...238 élèves , 9 AESH, 9 collègues, 6 personnels municipaux... Je suis sur mon lieu de travail tous les jours de 07h15 à 20h/21h, pas le temps pour la pause méridienne, le mercredi matin et très souvent le week-end... Je me réveille la nuit pour noter ce qu'il me reste à faire par peur d'oublier... Je suis rincé...mais je ne sais pas trop par quel réflexe archaïque je ne veux rien lâcher !
Il va pourtant bien falloir. Et j'adore mon taf.
Bref, j'exerce un métier fantastique pour un salaire conséquent (260€ de prime tout compris...) Je vais donc regarder les postes d'adjoint à pourvoir au prochain mouvement. Je ne pense malheureusement pas que les choses changent... Pourquoi payer pour un travail qui est déjà fait ? Le système tient encore en broyant les bonnes volontés. Peu leur importe. Le cynisme des décisionnaires est criminel. Le manque de courage et de solidarité de notre profession est désespérant. [...] "

" [...] la direction d’école n’est pas un métier, c’est une fonction... [...] une fonction de direction qui est aussi un job à 200% . C’est intenable! [...] " 

" [...] Groupe scolaire rep+ 401 élèves 21 classes 24 enseignants 6 atsems 4 aseh 1 service civique... Je ne vois pas le jour... [...] "

" [...] décharge totale...et 60h par semaine, sans arriver à tout boucler... [...] "

" [...] j’ai même 21 classes 25 collègues et j’en passe aussi. Je suis épuisée, plus de vie de famille, un conjoint qui n’a pas supporté [...] "

" [...] déchargée complètement. Pour tous ceux qui pensent que C est le rêve et bien ils se trompent 380 élèves 16 enseignants 12 aesh 1 AED pas de contrat civiques. Bref je bosse le soir car dans la journée je passe mon temps à répondre au tel à ouvrir et fermer le portail et mes missions de pilotage sont difficiles à mettre en place... [...] "

" [...] La première année, j'ai vécu un cauchemar: entre une directrice en retraite qui avait jeté tout le travail de sa classe disant que je ferai à mon idée (je débutais à l'époque une GS), trois collègues "déjantées", une guerre installée entre les Atsem et ces collègues, 4 élèves de GS au comportement indescriptible de violence, l'arrivée d'Allemagne d'une enfant autiste, qui venait avec des couches et qui se déshabillait presque complètement, 4 classes sans décharge, et personnellement 3 enfants en bas âge. [...]
Pendant deux ans, j'ai œuvré seule en faisant de mon mieux, j'ai souffert seule ... et en 2006, on m'a diagnostiqué une maladie orpheline du sang. J'ai subi un lourd traitement, de longs mois de convalescence mais je me suis relevée, doucement et j'ai repris mes fonctions de directrice dans une autre école. Et puis, les conditions d'exercice se sont à nouveau dégradées petit à petit depuis 2013, et bizarrement parallèlement ma santé aussi! J'ai à nouveau traversé des périodes de stress intense au boulot: cas de harcèlement entre élèves, d'attouchements, de conflits entre parents, de violence et propos racistes, d'agressions par des parents, d'élèves insupportables de violence et grossièreté,d' incendie dans l'école, de conflits entre agents municipaux .... et j'en passe et des meilleurs!
Et à l'heure où j'écris cette lettre, je suis chez moi, me préparant à retourner à l'hôpital car je suis en rechute de ma maladie ... idem qu'il y a 16 ans! Tout ça pour ça me dis-je! [...] "


" [...] Je viens de regarder mon cahier de direction dans lequel je note tout ce que j'ai à faire lors de mes journées de décharge. Je ne tiens pas ce cahier pour prouver mon travail mais juste pour ne pas oublier de l'effectuer. En effet, les directeurs vous expliqueront que la direction ne s'arrête jamais. Même devant nos élèves (car nous avons une classe), il faut gérer les problèmes de l'école et répondre au téléphone, ouvrir la porte aux retardataires, joindre les familles des absents pour s'assurer qu'il n'est rien arrivé aux enfants sur le trajet de l'école... Donc je note dans le cahier et j'essaie de profiter de mes 6 heures de décharge pour effectuer ces tâches. A la fin de chaque journée de décharge (qui dure 9h au lieu des 6 prévues car la pause méridienne est consacrée à mon travail et que la journée commence plus tôt et finit plus tard) j'ai le sentiment d'en avoir fait beaucoup, mais surtout le sentiment d'en avoir encore plus à faire... [...] "

" [...] Comme dit mon père, ex-officier dans l’Armée française, à haut niveau : « c’est bizarre : Dans l’armée, on nous donnait des objectifs, AVEC les moyens pour y parvenir. Dans l’Education Nationale, on vous donne les objectifs, SANS les moyens qui vont avec. » [...] "

" [...] Bonsoir, en premier burn out je vois un psychiatre pour la deuxième fois ce soir... 20 ans de direction et j'ai demandé un aménagement cette année à la rentrée. Du coup vu le déroulé de ce qui s'y passe je ne sais pas si j'aurais envie du revenir... [...] "

" [...] En retraite depuis un an, j'ai encore des "angoisses" liées à la direction d'école... [...] "

" [...] heureusement, j’ai survécu 
- A l’impossibilité de tout faire et donc de toujours pouvoir être prise en défaut, par les parents, l’administration, la mairie, le périscolaire, les collègues 
- A l’insatisfaction permanente du travail jamais fini 
- A la course à l’urgence pour essayer d’être à jour - A la rage de voir qu’il est 20 heures et qu’il faut quand même penser à rentrer à la maison sans avoir réussi à faire tout ce qu’on avait prévu 
- A la non-bienveillance de notre administration (la bienveillance et la confiance sont pour les élèves, pas pour nous) 
- Aux tableaux et enquêtes à rendre pour hier 
- A la fatigue de semaines de 60h, partagées entre classe et bureau 
- Au débordement et à la tête qui éclate 
- Au manque total de médecine du travail (pas une visite en 40 années de carrière) 
- Aux instants de grande solitude
[...]
- A l’incompréhension de l’opinion publique qui croit bêtement qu’on a les mêmes heures que les élèves (les élèves ont des heures, pas nous !)
- Au fait de passer son temps au four et au moulin à la fois (classe, portail, téléphone, bureau, cour, dortoir, salle des maîtres, réunions…)
- Au mécontentement des parents qui n’apprécient pas qu’on ne réponde pas au téléphone et qu’on n’ouvre pas la porte alors qu’évidemment, c’est juste qu’on ne peut pas, puisqu’on fait la classe et qu’il n’y a personne pour répondre, même en cas d’urgence !
[...]
- A l’inclusion des enfants en situation de handicap, sans aide, (ou avec une aide de 9h, alors que la semaine scolaire est de 24h), le tout créant une surcharge de travail énorme (réunions de suivi et rencontres des soignants,etc…)
- Aux suspicions, aux accusations de certains parents pour un oui, pour un non (J’ai toujours défendu l’Ecole et les parents aussi, mais il existe toujours quelques situations très compliquées que l’on doit affronter) [...] "

Il est effectivement désormais nécessaire de survivre.



dimanche 13 octobre 2019

Y'a un truc à faire...

Je ne peux pas travailler dans mon bureau. Fonctionnel mais petit et surtout sans aération, il s'emplit rapidement d'oxyde de carbone et après une heure à y œuvrer j'ai mal à la tête. Et puis être interrompu toutes les trois minutes par des cris d'enfant en garderie ou autre billevesée m'insupporte autant sinon plus que l'idée de rester dans une école que certes j'apprécie mais où je viens déjà de passer un certain nombre d'heures. Le Directeur que je suis rentre donc chez lui et travaille à domicile. Il n'y a rien que je ne puisse y faire, mon administration est sur internet, j'ai accès à mon courriel, et tous mes fichiers sont dans les nuages (comprenez "cloud"). J'ajoute que chez moi j'ai mon épouse adorée, mon merveilleux réfrigérateur chargé de bière, mon propitiatoire garde-manger bien garni et quelques confortables canapés où je peux reposer par intermittence mon corps meurtri et mon cerveau fumant.

Nous ne devons pas être très nombreux à travailler à domicile, bien que ce soit à la mode dans les grandes entreprises qui diminuent ainsi leur charge immobilière. La plupart des Directrices et Directeurs avec lesquels je discute ne veulent pas que leur travail de Direction empiète sur leur vie privée, alors pourtant que souvent ils s'emploient chez eux à y préparer leur "classe". Chacun son choix. en fait j'ai quotidiennement l'impression de fuir mon école le plus tôt possible. Ce qui est finalement assez comique puisqu'arrivé à la maison je m'emploie à redevenir Directeur d'école. Il faut quand même sacrément aimer cette fonction pour être bête à ce point.

Quand j'écris que je redeviens Directeur d'école, je le redeviens aussi pour le GDiD. Cela signifie que je récupère le courriel qui nous est envoyé, que je gère les affiliations par Paypal, que je lis vos récriminations diverses et subis parfois votre ire, que je prends au téléphone ceux qui veulent me contacter (ça c'est souvent lourd, en plus JE HAIS le téléphone), que... Je ne veux pas me plaindre, je trouve que les Directrices et Directeurs d'école sont une population résiliente et bien élevée, souvent pleine d'humour, et qui n'aime pas vraiment gémir. Nous aurions pourtant de quoi.

Régulièrement, disons chaque semaine, je me fais une liste de ce qu'il y a à faire pour mon école, en classant par priorité. Attention, je précise bien que ce sont MES priorités, pas celles de mon administration : mon école passe toujours devant le reste. Comme la moitié de ce que me demande mon institution est inutile ou redondant ce n'est pas pour moi un choix difficile. Et puis je rappelle à mes jeunes collègues qui me lisent que je suis un très vieux routier qui ne mettra pas longtemps à faire ce qui hélas leur prendra certainement beaucoup plus de temps qu'à moi. Réjouissez-vous ! En vieillissant vous serez comme moi ! Vous apprendrez par exemple à jeter sans remord à la poubelle les demandes qui n'ont pas de sens. 99% d'entre elles ne reviendront pas, et pour le 1% restant on vous réclamera éventuellement humblement quelque chose dans quelques semaines. Peace and love, my friends !

Vous apprendrez aussi à refaire vos PPMS en reprenant celui de l'année précédente en y changeant simplement les quelques éléments qui doivent l'être (dates, noms...) en trente minutes impression et diffusion comprises. Vous apprendrez à mettre à jour les fiches DUER en dix minutes chrono. Bref, vous apprendrez à devenir les Arturo Brachetti de la Direction d'école...

Néanmoins... ben... y'a un truc à faire. Vous n'y pouvez rien, c'est inhérent à votre fonction. Il y a aura toujours "un truc à faire". Vous avez pourtant rempli les fiches bidule, vous avez terminé le machin-chose, vous avez bouclé le trucmuche... Il vous reste un truc à faire. Eh oui, c'est comme ça,  et c'est vrai que c'est pénible désagréable frustrant agaçant. Vous aviez la veille au soir avec une certaine satisfaction terminé votre travail de Directrice ou Directeur, vous pouvez parier que vous recevrez le lendemain par courriel une invitation langoureuse à vous connecter à je ne sais quelle enquête qui pourtant ne vous concerne pas, et qui est à remplir "même état néant". Bien entendu le site sera en rade, si votre clef OTP ne vous lâche pas...

Pas d'inquiétude, de toute manière vous aurez d'autres casseroles sur le feu : recevoir la famille du petit Paul qui veut que vous expulsiez de l'école le petit Kevin qui a griffé leurs fils, et ensuite le père furibond de la grande Louise qui vient se plaindre de la maîtresse qui a tancé sa fille parce qu'elle bavarde sans arrêt. Sans oublier que le ménage a été fait par-dessus la jambe dans la classe de Mme Souk qui vient vous disputer comme si c'était vous qui teniez le balai. Il y aura aussi le toner du photocopieur à changer, et... bref.

Ne vous sentez pas coupable si vous avez envie de tout jeter par la fenêtre, enseignants et élèves compris. C'est humain, et ma foi beaucoup de ce qu'on vous demande peut attendre. Vous savez la bonne nouvelle ? Personne ne viendra râler parce que personne ne peut se passer de vous. Si personne n'est irremplaçable, le Directeur en revanche l'est. Car le Directeur d'école est un élément clef. Sa fonction est indispensable. Le rôle qu'il joue, le travail qu'il fait, est une des deux bases du fonctionnement de l'école, la seconde étant celle d'enseignant. Mais ce sont deux rôles bien différents, deux métiers qui se complètent, et qui pour nous malheureusement se superposent au risque parfois de les mal faire.

Il faut apprendre à se préserver, sans culpabilité. C'est difficile. Il est compliqué de se rendre compte de la surchauffe, et le burn-out arrivera sans crier gare. Et puis nous connaissons des années tourmentées et d'autres plus simples. Résister aux assauts quotidiens demande beaucoup de force. Mais soyez malheureusement assuré que personne dans votre entourage professionnel ne comprendra dans quel état vous êtes si vous ne le réalisez pas vous-même. Je peux hélas vous en parler en connaissance de cause : l'année dernière je n'ai rien vu venir.

Alors, je vous avoue que certaines déclarations syndicales, dans cette triste période de deuil que nous connaissons, me prennent sérieusement la tête. Oser encore ne réclamer que "du temps, un secrétariat, des injonctions allégées et un meilleur salaire", c'est nier encore et toujours la spécificité de notre fonction. Du temps ? Christine Renon était totalement exempte de charge de classe. Un secrétariat, et des injonctions allégées ? Une des choses qui semble-t-il a précipité son geste était le rapport avec les familles, dont nous savons tous le poids que personne ne peut porter à notre place. Un meilleur salaire ? Elle dénonçait dans son courrier ses conditions de travail, pas le montant de son traitement.

Je ne dis pas que je ne souhaite pas avoir un secrétariat - surtout formé et compétent -, mais j'ai déjà expliqué que dans les conditions actuelles de fonctionnement de l'école celui-ci ne pourrait être qu'employé par le collège ou la municipalité, ce qui ne me plait pas car j'estime que les Directrices et Directeurs d'école ont déjà aujourd'hui suffisamment de difficulté à gérer l'emploi du temps de personnels dont il n'ont pas la maîtrise avec les ATSEM, les AESH, ou autres. Et qui peut croire à une généralisation de ce système ? Ma petit école de trois classes m'incite à pouffer.

Je ne dis pas non plus que je ne souhaiterais pas être mieux rémunéré. Mais que peut-on attendre dans la mesure où nous ne sommes que des PE avec un second métier ? Des points d'indice en plus ? Il a déjà été fort compliqué d'obtenir une sorte de consensus autour des échelles de rémunération lors des "accords PPCR", on peut légitimement s'attendre à une belle foire d'empoigne, surtout qu'il n'est pas certain que tous les syndicats seraient si contents de nous voir distingués de la masse des enseignants.

De toute manière ces mesurettes ne peuvent pas être des solutions pérennes. Nos conditions de travail ne changeraient pas, la barque continuerait à prendre l'eau d'autant plus qu'on prendrait prétexte d'une pseudo-amélioration pour la charger encore plus. Nous ne sommes plus au XIXème siècle, notre fonction est singulière, il nous faut absolument un "statut d'emploi fonctionnel" adapté à notre travail et réservé aux enseignants du primaire, qui nous permette de rejoindre le corps des PE quand et si on le souhaite. Pour cela il faut changer le statut de l'école, lui donner une existence juridique et donc une ampleur inédite qui identifie parfaitement son rôle et ses responsabilités, la protège des abus institutionnels, territoriaux, parentaux. C'est là le projet du GDiD. Au sein de cette nouvelle école, accompagné d'une équipe d'enseignants mais aussi d'une équipe administrative comprenant secrétariat, CPE, surveillants, gestionnaire, la Directrice ou Directeur d'école chef d'établissement aura enfin les moyens de son action et le plein et entier exercice de son métier. Cela ne pourra pas se faire partout, tout de suite, sans précaution ni sans consensus entre la collectivité, l'Etat, les enseignants. Il faudra de nombreuses fusions, dont les plus évidentes sont déjà les fusions maternelle-élémentaire, qui se justifient pleinement pédagogiquement. Cela prendra du temps, mais ce sera un tout petit prix à payer pour que notre école enfin change au mieux des besoins de nos élèves et de leur réussite.


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dimanche 6 octobre 2019

Un statu quo qui nous tue...

Je suis écœuré de la façon dont certains utilisent la mort de Christine Renon pour leurs intérêts syndicaux, faisant fi de ce qu'elle a abondamment expliqué dans son triste dernier courrier. Ce que je lis ou entends depuis deux semaines sur les réseaux sociaux ou sur certains médias me trouble profondément, et m'interroge grandement quant à l'honnêteté intellectuelle de ceux qui propagent ces mensonges et approximations. Au détriment d'ailleurs de la moindre logique, ou en faisant semblant de méconnaître le fonctionnement des écoles, ou encore au pire en faisant abstraction du droit du travail. Alors il faut bien que quelqu'un s'y colle, pour rappeler la vérité, pour dénoncer les mensonges...

Si ce n'était un tel drame qui donnait lieu à toutes ces âneries, je pourrais trouver comique de me faire moi-même accuser de l' "exploiter". Comme si depuis quinze ans je ne me débattais pas pour défendre la cause des Directrices et Directeurs d'école, comme si depuis tout ce temps je n'expliquais pas la misère grandissante de nos conditions de travail, comme si depuis vingt ans le GDiD ne martelait pas les mêmes propos. Quand on veut noyer son chien...

Depuis deux semaines donc certains syndicats transforment insidieusement - mais avec une certaines grossièreté tout de même - la question de la Direction d'école en problème général de l'enseignement. Ben non.

" (...) Le travail des directeurs est épuisant, car il y a toujours des petits soucis à régler, ce qui occupe tout notre temps de travail et bien au-delà du temps rémunéré, et à la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l'on a fait.

Pour ma part, j'ai toujours fait pour le mieux pour les élèves, les enseignants, les parents, j'ai essayé de me rendre disponible au maximum pour chacun, toujours répondu positivement à un service que l'on me demandait. (...)

Mais les Directeurs sont seuls ! Seuls pour apprécier les situations, seuls pour traiter la situation car les parents ne veulent pas des réponses différées, tout se passe dans la violence de l'immédiateté. Ils sont particulièrement exposés et on leur en demande de plus en plus sans jamais les protéger.

La semaine après la rentrée, ils sont déjà épuisés.

Le nombre de personnel dans des collèges qui reçoivent le même nombre d'élèves que nos écoles montre le degré de l'exposition et du stress dans les situations tendues quand on est seul.

C'est une honte qu'il y ait des directeurs non déchargés. (...)

La perspective de tous ces petits riens qui occupent à 200 % notre journée. (...) "

Christine Renon nous parle bien de son métier de Directrice d'école, ce sont bien ses limites, ses dangers, ses exigences non reconnues et non soutenues qu'elle dénonce. D'ailleurs le rapprochement qu'elle fait avec le fonctionnement des collèges est fort clair. Comme le rapportait un bon camarade sur le groupe Facebook du GDiD :

« Collège [anonymisé] 298 élèves, 1 chef d'établissement à temps plein, 1 secrétariat, 1 CPE à temps plein, des surveillants, 1 gestionnaire…

École élémentaire [anonymisé; même commune] 304 élèves, 1 directeur chargé de classe à mi-temps et puis rien....

Cherchez l'erreur M le Ministre de l’Éducation Nationale. »

Christine Renon faisait évidemment aussi cette amère comparaison. Alors que me répond-on ? On m'a écrit que "si elle avait gardé son "aide administrative" elle ne se serait pas donné la mort." Peut-être. C'est possible. Je ne peux pas, moi, ni l'assurer ni écrire le contraire. Mais je trouve l'affirmation osée. D'autant plus qu'elle implique que ces "aides administratives" auraient été indispensables, ce que je nie avec force. Je ne doute pas que dans certaines écoles certaines personnes aient pu apporter une aide précieuse, mais ce ne fut certainement pas le cas partout. De mon côté, j'avais un nouveau boulot : j'ai dû former des personnels qui n'avaient aucune idée de ce qu'est une école, j'ai dû leur apprendre à utiliser un ordinateur, j'ai dû systématiquement repasser derrière pour rectifier de nombreuses erreurs... j'en passe et des meilleurs, pour ne pas citer ceux qui sont partis après quelques semaines. Ce que je ne saurais leur reprocher : faire un tel travail sans statut clair ni formation ni salaire un minimum décent, j'ai toujours trouvé ça ahurissant ! Qu'on veuille aujourd'hui me soutenir que c'était un bien me dépasse. A moins que certains enseignants - de "gauche" certainement - trouvent raisonnable d'exploiter leurs semblables.

On me rétorque qu'alors il faut dans les écoles des secrétaires formés et statutaires. Le terme "statut" ne hérisse personne quand on l'évoque pour un personnel administratif, mais fait suffoquer certains quand il s'agit des Directrices et Directeurs d'école... C'est comique. Ceci écrit je suis parfaitement d'accord, je veux bien une ou un secrétaire formé et bénéficiant d'un statut, même partagé avec d'autres collègues. Un statut donc... mais lequel ? L'école n'est pas un établissement, elle ne peut employer personne, ce qui signifie qu'un tel secrétariat ne peut être que sous les ordres d'un IEN, ou d'un établissement du second degré, ou d'une municipalité.

Evidemment je sens que ça coince. L’œil de Moscou n'est pas loin. La tutelle du collège a été mise à mal récemment, c'est pour certains syndicats un casus belli. Les IEN alors ? Aïe aïe aïe, on ne veut pas d'un "petit chef" dans l'école, alors l'idée que les IEN y mettent le pied est inacceptable. La Mairie ? Encore pire ! Curieusement, lorsque je donne cette réponse où je lis cette proposition d'un secrétariat statutaire dans les écoles, la discussion s'arrête aussi sec. Je n'en suis pas vraiment surpris, contrairement au GDiD les syndicats réfractaires n'ont jamais réfléchi à la question. Mais il faut bien se rendre à l'évidence : la seule possibilité pour une école de bénéficier d'un secrétariat serait que l'école devienne un établissement. Mon Dieu, qu'ai-je écrit là ? C'est le projet du GDiD, parce qu'après des années de réflexion nous avons abouti à la conclusion qu'il s'agit de la seule solution raisonnable et pérenne.

Nous en sommes persuadés, avec quelques syndicats alliés, le ministère peut-être aussi. Alors je lis l'excitation des autres qui voient le vent tourner : "au secours, les EPEP reviennent !" et évidemment "les enseignants n'en veulent pas". Il n'est plus question de ce que veulent les premiers concernés, soit les Directrices et Directeurs d'école. Pour certains syndicats nous n'avons pas, nous ne devons pas avoir voix au chapitre. J'imagine que pour ces gens-là nous sommes trop cons pour imaginer correctement ce qui pourrait nous aider à exercer correctement notre métier. Nous autres, Directrices et Directeurs d'école, savons bien pourtant pour qui nous travaillons : nos élèves dont le bien-être à l'école et la réussite nous sont primordiaux, les familles, les enseignants. Je cite encore Christine Renon :

" (...) j'ai toujours fait pour le mieux pour les élèves, les enseignants, les parents, j'ai essayé de me rendre disponible au maximum pour chacun, toujours répondu positivement à un service que l'on me demandait. (...) "

Oui, c'est pour cela que nous travaillons, et c'est pour le faire correctement que nous ne voulons plus d'un statu quo qui nous tue. Adieu Christine, j'aurais bien aimé vous connaître. Je vous rendrai hommage encore une fois lors du premier Conseil d'école de cette nouvelle année scolaire attristée, en proposant à ses membres une minute de silence à votre mémoire. Cela ne vous aidera pas, mais je ne veux pas vous oublier.


mercredi 2 octobre 2019

Des témoignages à pleurer...

Depuis le geste de notre collègue Christine Renon à Pantin, les témoignages s'accumulent dans les boîtes de courriel du GDiD. Je ne peux pas répondre à tous, je suis désolé, mais moi aussi entre ma classe, le Direction de mon école, mes responsabilités familiales et le GDiD je suis aux taquets, la tête dans le guidon, et fort fatigué également.

Néanmoins je veux citer certains, dans l'anonymat bien entendu et sans que quiconque puisse être "repéré" par une institution qui nous le savons tous est plus rapide à dégainer pour nous blâmer que pour résoudre ses propres problèmes... ou simplement montrer la moindre compassion pour une Directrice qui s'est donnée la mort de manière très explicite, ou pour une profession entière de Directrices et Directeurs qui paye quotidiennement le prix fort.

Je n'ai pas changé un mot de ces témoignages. Les parenthèses indiquent une omission volontaire (texte trop long, indice trop flagrant...) :

" '...) On s'épuise bien plus vite quand personne ne se rend compte (ou ne veut pas se rendre compte) des heures de travail invisible (combien de soirées devant mon ordinateur pendant que beaucoup d'autres sont devant leur télévision): les collègues ne se posent même pas la question, les parents ne peuvent pas le savoir et la hiérarchie fait semblant de ne pas s'en rendre compte (...)"

"(...) la responsabilité qui à mon sens n’appartient qu’au seul système. Celui-là même qui détruit ceux qu’il est sensé protéger , qui isole et qui reste sourd à la souffrance de ses plus humbles et dévoués éléments. Alors stop au dévouement ,à l’humilité et à la culpabilité ! Il ne faut plus que de tels drames se passent (...)"

"(...) toujours en convalescence suite à une succession de « burn-out » accumulés les dernières années de ma carrière (...), tenant difficilement le coup, mais restant debout grâce à une vie privée riche et chaleureuse, mais accumulant les problèmes de santé (bronchites, sinusites à répétition, pneumonie grave … ), retournant sans cesse au travail après un minimum de jours d’arrêt- maladie, et épuisement important qui a fait que depuis, mes paupières se ferment à tout moment pour m’obliger à me reposer et NE PLUS VOIR. (...)"

"(...) Cette année je ne suis plus directrice, j'ai jeté mon tablier après plus de 20 ans de direction. C'était devenu trop difficile ces dernières années... (...)"

"(...) ces beaux projets ces belles idées ne résistent pas aux contraintes du temps. Concilier le métier, l'engagement associatif ou participatif et la vie privée est compliqué. (...)"

"(...) Pour une moyenne de 50 h par semaine, le nez dans le guidon, pendant toutes ces années, comment avons - nous pu le faire ? (...)"

"(...) Jusqu’à quand notre investissement de chaque jour, notre envie de bien faire notre travail nous porteront sans que nous nous effondrions? Directrice (...) depuis 20 ans, je fais de mon mieux mais l’épuisement me gagne comme pour Christine que je ne connaissais pas personnellement mais que je comprends tellement ! Je ne tiens que parce que je pense aux collègues, à mes enfants, aux élèves et à leurs familles... (...)"

"(...) J'ai été instit puis PE, douze ans directeur d'écoles parfois grosses... Et puis j'en ai eu marre ! Marre d'être méprisé, maltraité (à tous les sens du terme), d'exercer un métier fantôme ! (...) je n'ai rien vu changer, et (...) j'ai passé le concours de personnel de direction. Avec succès. J'ai laissé tomber l'école pour le collège, où tout n'est pas merveilleux mais où il y a un statut, un métier, une carrière. (...)"

"(...) cette pauvre Christine Renon, qui à mes yeux, était évidemment une cheffe d'établissement ! (...)"

"(...) Je suis directrice depuis plus de 15 ans, (...) et j’aime mon métier. Je n’ai jamais connu une rentrée comme celle-ci. Comme tous les ans, je ne pars jamais de l’école avant 18h (souvent vers 19h30), je déjeune en 15-20 min max pour travailler le midi, je suis à l’école tous les mercredis matins (4h au minimum) et tous les samedis ou dimanches matins (3h aussi minimum, souvent plus). Mais, contrairement à d’habitude, je suis loin d’avoir terminé. Je m’en vais donc (oui, j’ai des enfants que je tente de voir entre deux portes) en laissant tout un tas de trucs moins urgents sous la carpette et ma conscience professionnelle ne s’en accommode pas. Depuis plusieurs jours, j’ai une douleur dans la poitrine et je remarque que je suis stressée. (...)"

"(...) Je suis directrice depuis 13 ans et les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. Je suis de ceux et de celles qui espèrent toujours que les choses évoluent dans le bon sens mais c’est de pire en pire. (...)"

"(...) ... Au début, j'y arrivais à peu près, puis au fil des années j'ai senti la pression tomber sur la fonction (...) J'ai tenu bon jusque mon âge légal de retraite (...) Je suis partie épuisée sans avoir tous mes trimestres (...). Et je respire ! Le geste de Christine Renon m'a ébranlée et réveillé tous mes démons... D'autres avant elle se sont suicidées dont une directrice formidable à Belfort il y a quelques années, mais ce qui me touche, c'est le sacrifice de Christine qui très lucide quand elle a écrit toutes ses lettres qui sont autant de témoignages sur les conditions de travail des directeurs d'école : ce qu'aucun n'avait jamais osé faire, elle l'a fait ! (...)"

Evidemment j'ai aussi reçu des courriels mettant en cause le monde syndical, et bien sûr plus particulièrement le SNU, FO et SUD, dont nous savons tous qu'ils proclament à tous les vents que les Directrices et Directeurs d'école ne peuvent être que "des enseignants comme les autres" :

"(...) les responsables on les connait. (...)"

"(...) un syndicat en particulier parle du problème de la "direction d école" pour une nouvelle fois ne pas nous nommer. Honte à eux ! (...)

"(...) ce qui me rend furieux, c'est la lamentable récupération qu'en font les syndicats alors qu'ils ont favorisé cet acte. Et tout bien réfléchi, ils sont même fautifs. (...)"

Je dénie clairement au SNU toute légitimité pour parler au nom des Directrices et Directeurs d'école. Leurs proclamations de ces derniers jours sont une offense à la mémoire de Christine Renon, qui était très claire dans son courrier, qu'il faut lire bien entendu, si vous ne l'avez déjà fait.

Je dénie également au désastreux organe du politburo du SNU soit le "Café Pédagogique" toute compétence pour simplement évoquer la question de la Direction d'école. Ce torchon a fait suffisamment de mal depuis qu'il existe pour avoir aujourd'hui la décence de se la boucler.

S'il faut lire un article, c'est plutôt celui - remarquable - de Cécile Roaux dans The Conversation. Pas étonnant, elle a été Directrice d'école, et sait intimement ce dont elle parle. Elle ne fait pas semblant d'oublier les problèmes qu'elle a pu connaître au profit d'une idéologie douteuse, elle ! J'en cite un extrait où elle fait bien remarquer que les "deux tiers des directeurs réclame ce statut." Ce statut que nous portons depuis vingt ans :

"(...) C’est à n’en pas douter un grave problème pour le système scolaire, et donc finalement pour les élèves eux-mêmes. En effet, la littérature scientifique est très claire : de la qualité du leadership dans une école – en particulier de la manière dont est suscité et coordonné le travail en équipe – dépendent la qualité des apprentissages et la prévention de problèmes comme la violence et le harcèlement, sans que ce soit bien entendu le seul facteur.

Malgré cette évidence, dans nos propres recherches portant sur un échantillon national contrôlé de près de 6 000 enseignants du primaire dont 2 221 directeurs et directrices, les deux tiers des enseignants refusent l’idée d’un statut hiérarchique des directions d’école. À l’inverse la même proportion de deux tiers des directeurs réclame ce statut.

On pourrait y voir là un conflit de pouvoir classique où les enseignants « résisteraient » à une hiérarchie malveillante et où à l’inverse les directeurs en quête éperdue d’une amélioration statutaire et salariale seraient prêts à pactiser avec cette même hiérarchie, voire à en devenir le représentant sous la figure honnie et maintes fois évoquée dans nos travaux du « petit chef ».

Ce n’est pas aussi simple parce que c’est oublier les souffrances réelles des directeurs. Elles ne sont pas que réclamation d’un « statut », qui ne réglerait sans doute pas ces difficultés. Ces difficultés sont à la fois une réelle question de moyens, mais surtout une question de légitimité et de clarification idéologique, nécessitant une véritable mise à plat des relations de pouvoir au sein de l’institution. (...)"

Il faut lire cet article en entier, pas se contenter de la citation qui précède. Parce que voilà des choses qui font plaisir à lire. Mais je me serais passé volontiers de cet abominable coup au cœur que fut le suicide de notre collègue... J'ai encore mal, très mal.

Pascal Oudot