vendredi 18 décembre 2020

Courrier au Président et au 1er Ministre...

Le mercredi 16 décembre 2020.

Monsieur le Président de la République,

la crise sanitaire que la France traverse a particulièrement affecté le fonctionnement des écoles et mis en évidence la nécessité d'un pilotage au plus près du territoire.

Les directrices et directeurs d’école ont à cet effet été particulièrement impactés.

Cette situation ne vient que mettre en évidence leur rôle essentiel mais aussi leurs conditions de travail particulièrement dégradées. Beaucoup de directrices et directeurs, qui veulent seulement faire correctement leur travail, en sont empêchés par manque principalement de temps et de reconnaissance.

Les groupes de travail que le Ministère de l’Éducation nationale mène auraient dû permettre de proposer des mesures fortes pour les personnels. Les annonces faites pour 2021 sont, à ce titre, tout à fait insuffisantes pour régler la situation. C’est la raison pour laquelle, trois organisations syndicales, le SE-Unsa, le SNE et le Sgen-CFDT, ainsi que deux associations professionnelles le GDiD et le GTRID, viennent vous alerter sur la nécessité de prendre un engagement fort.

Cela doit se traduire par un plan pluriannuel visant à faire des mesures 2021 (600 ETP et 450 € annuels consacrés à la direction) la première marche d'un escalier qui assure des réponses aux besoins, tant en termes de décharges que de reconnaissance financière des responsabilités qui sont les leurs.

Être directrice ou directeur est aujourd’hui un métier à part entière qui demande une professionnalité et du temps pour l’exercer. Il n’est plus possible, par exemple, de laisser une directrice, un directeur à mi-temps, piloter un établissement de 300 élèves (12 classes).

L’école est centrale dans notre société confrontée aux crises. Les capacités des directrices et directeurs d’école à en assurer le pilotage pédagogique pour sa solidité et sa réactivité, pour la cohésion des adultes qui la font vivre, pour la sérénité des relations avec tous les partenaires et en premier lieu les familles, sont un enjeu très important gage de réussite des élèves.

Les directrices et directeurs attendent des avancées concrètes et conséquentes pour pouvoir bien faire et aussi bien vivre leur métier.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Stéphane CROCHET Secrétaire Général du SE-UNSA (Syndicat des Enseignants - UNSA)
Catherine NAVE-BEKHTI Secrétaire Générale du Sgen-CFDT (Syndicat Général Education Nationale-CFDT)
Laurent HOEFMAN Président du SNE (Syndicat National des Ecoles)
Alain REI Président du GDiD (Groupe de Défense des Idées des Directeurs)
Loïc BREILLOUX pour le GTRID (Groupe de Travail et de Réflexion Indépendant de Directeurs)

lundi 14 décembre 2020

Le loto perdant, ou l’art du zéro

 Les annonces ministérielles à l’heure d’un grenelle bien frileux et policé, convenu et sans surprise, sont apparues à l'ensemble des directrices et directeurs d'écoles comme de nouvelles miettes jetées en pâture aux médias, aux dépens des 45000 directions d’école dépitées de tant de mépris ressenti.
C'est que le malaise et le mal-être sont trop forts pour que cet “effort“ en période de crise puisse être reconnu...
Trop délaissés, trop meurtris, trop ignorés...
Le PPCM du seuil de décharge pourrait-il conduire à une unité de la profession pour avancer ? Rien n’est moins sûr… Mais au GDID, avec les Organisations Syndicales ayant la même volonté, nous continuons de porter la question vitale de notre métier, sans relâche…

Des chiffres trompeurs pour masquer un immobilisme de 40 ans

Prenons une feuille de loto, et cochons quelques cases… Pas au hasard, avec une science raffinée de l’art mathématique du budget et de la statistique…

5 comme E ; 20 comme T ; 16 comme P… Puis 600, mais comme cela ne rentre pas, nous cocherons 6. 21 pour 21 millions, 45 pour 450, 9 pour 900, 15 pour 1500… Pourquoi s’embarrasser de zéros non significatifs, n’est-ce pas ?
Parce que, vous aurez reconnu ces chiffres et ces lettres, pardon, ces nombres et cet acronyme : Eutépé… Jamais ce mot n’aura autant été prononcé que cette semaine...

Et le zéro… Ce chiffre mystérieux qui est à la fois un nombre, et le signifiant du vide, du “rien“...
Pourtant, lorsque l’on évoque des millions d’euros, le nombre de zéros à l’échelle d’un citoyen ordinaire devient vite étourdissant…
Mais lorsque l’on rapporte le nombre d’équivalents de postes (600), sur le nombre d’enseignants du premier degré (330000), le zéro passe devant (0,18%)… Quel effort !!! Bien moindre de très loin à d’autres mesures phares dont on ne sait pas aujourd’hui mesurer l’utilité réelle…
Quant au nombre d’écoles touchées sur les 45000, ce n’est pas tant le zéro qui compte alors, que le vide de l’avancée obtenue…

Car enfin, les 900 équivalents de postes pour les “petites écoles“ ne devraient pas être présentées comme un beau geste : ici, le zéro passe à droite et fixe le nombre de jours correspondant à l’attente des directrices et directeurs concernés depuis la sortie de la Circulaire n° 2014-115 du 3-9-2014 (rentrée 2015 : 10 jours par an pour 2 ou 3 classes, 5 ans d’attente, presque 2000 jours).

Le vide de la direction d’école

Un autre aspect de ce zéro est l’importance qu’il donne au nombre de jours pendant lesquels la décharge des écoles de 10 à 13 classes n’a pas bougé : c’était la Circulaire n° 80-018 du 9 janvier 1980… 40 ans et 11 mois, soit près de 15000 jours…

Le zéro, dans notre numération de position, est utilisé pour “conserver le rang“ en notation décimale. Et en effet, on nous demande de “garder le rang“, de rester à notre place : directeurs d’écoles sans aucune reconnaissance, abandonnés pour certain(e)s depuis plus de 40 ans, enseignants parmi les enseignants, ce qui est noble en soi, mais avec une charge de responsabilité unique en France, unique, car cette responsabilité est assumée mais non actée.
Alors, la tentation est grande d’aller chercher la transcription originelle, puisque nous parlons des chiffres dits “arabes“ : zéro est issu d’une transcription de l’arabe ṣĭfr, qui signifie le vide… Véridique.
Quelle ironie !

Une annonce médiatique qui veut nous placer en privilégiés

A l’heure où les médias se gargarisent de cette manne de 450 millions d’euros qui nous est grassement octroyée, en cette période si difficile pour toutes et tous, alors que tout le monde se serre la ceinture, nous voyons notre quotidien atteint par cet “élément nul“ qu’est le zéro… Zéro avancée réelle et satisfaisante : à la place d’une reconnaissance statutaire (métier de directeur), ou d’une reconnaissance en temps de travail (décharge), ou d’une reconnaissance financière réelle (point d’indice), la montagne accoucha d’une manne populiste et médiatisée : 450€ pour les directeurs, et 150€ pour l’informatique.

Pour tout un chacun qui se creuse le ventre afin de savoir comment payer ses traites à l’heure où le client reste confiné, pour celui qui n’a plus le travail précaire qui l’aidait à vivre chichement, pour la partie de la population en dessous de la moyenne des revenus ou pire, en dessous du seuil de pauvreté, évidemment que ce montant donne l’illusion de la corne d’abondance qui s’offre à nous, directrices et directeurs enfin privilégiés…

Sauf que, sans vouloir mépriser cette obole, cette corne n’est d’abondance que dans le breuvage d’amertume qu’elle nous prodigue, sans même l’oubli qui pourrait aller avec. Car d’abondance il n’y a pas, c’est un “one shot“, et non une augmentation pérenne…

Alors, le zéro devient cet “élément absorbant“ de la multiplication, multipliant les rancœurs, l’étonnement des familles si nous râlons, multipliant cette incompréhension devant tant de mépris qui entraine tant de démissions et de dépressions dans nos rangs !

La crise s’amplifie malgré les 45000 écoles toujours dirigées, chaque matin

Que faire alors ?
Déjà, ne jouons pas au loto. Ces chiffres donnés par le Ministère ne peuvent suffire en aucun cas.
Le geste est frustre, et pleutre l’intention qui ne veut froisser personne ni aucune organisation. Sauf qu’à attendre le consensus, le seul accord qui risque de se produire est celui du refus manifesté, celui de la colère qui ne peut plus être retenue, celui de la réaction face à ce mépris affiché.

Derrière des discours #JeVousAiCompris, #VousEtesFormidables, #EcoleDeLaConfiance, crachés sur “IouToube“ ou “Béhèfème“, nous ne recevons que les postillons qui nous intiment de rester à notre place, de “tenir notre rang“, zéros bien alignés au service de l’état.

Alors oui, la feuille de loto est perdante. Aujourd’hui.
Et nous devons lui redonner la couleur de l’espoir, celle de notre enthousiasme pour notre mission, plus de 45000 fonctionnaires d’état qui font tourner les écoles accueillant les enfants de notre démocratie républicaine. Ce n’est pas rien tout de même !

Nous devons nous rassembler pour exiger un véritable calendrier, qui commencerait par un tout petit effort de plus pour cette année, gravant dans le marbre des décrets et circulaires la mort de 40 ans d’immobilisme, la reconnaissance du temps nécessaire à faire tourner l’école à classe unique qui fait vivre un village ou celle à taille d’un établissement d’une ville avec ses 300 enfants…

Oui, “les temps sont durs“, ils le sont tout le temps, et chaque année il y a quelque événement venant troubler les possibles… Et nous pourrions comprendre l'effort particulier en cette période de crise extrême.
Mais pour autant, les 45000 écoles vivent, sont ouvertes bon an mal an tous les matins, accueillent des millions d’élèves.

Cinq syndicats et associations ensemble pour notre métier

Au GDID, avec nos collègues du GTRID, du SNE, du SE-UNSA, du SGEN-CFDT, nous ne baissons pas les bras. On peut regretter que l’intersyndicale ne soit pas exhaustive, ce n’est pas faute de l’avoir tentée par le passé. On peut vouloir une nouvelle association, réinventer la poudre, créer un syndicat de direction d’école, ce n’est pas faute d’y avoir déjà travaillé. Tout est toujours possible…
Aujourd’hui, nous faisons avec ce qui existe, avec ceux qui veulent bien reconnaitre notre métier de direction d’école. Et, sans relâche, nous interrogeons nos responsables : quel avenir pour notre métier, quelle suite pour le projet de loi Rilhac ? Tout est sur la table. Tout le monde peut nous rejoindre…
Nous voulons croire que le Ministère ne peut pas rester sourd.

Quel mode d’intégration et quel “seuil“ pour les décharges aujourd’hui ? Raisonnable… dans les deux sens : raisonnable quant à la dépense publique certes, mais raisonnable quant au respect qui est du à l’école publique et aux millions de familles concernées.

Quel calendrier pour ce minimum vital que constitue ces seuils de décharges ? Deux ans… Il ne fallait pas attendre, Monsieur le Président. Vous aviez clamé que l’école était une priorité…

M. le Président, à vous d’assumer !

Plus de 30% de mes collègues vous ont cru… Je ne les juge pas évidemment, mais force est de constater que depuis 2017, la priorité reste des paroles et jamais des actes réels…
Tous nos instants sont à jamais marqués par nos actions… et nos inactions, cela est valable pour toutes et tous, vous compris Monsieur le Président.

Nous pourrions parler de la Circulaire du 25-8-2020, celle qui crée à titre expérimental un référent (inexistant encore dans certains département, sans décharge dans d’autres), qui nous octroie deux jours de formation (nous savons parfaitement que nous ne sommes pas prêt de les voir), qui encourage à combler nos décharges par des moyennes de remplacements (déjà largement dépassés par leurs missions actuelles), celle qui nous donne du travail en plus en prétextant a
lléger nos tâches…

Monsieur le Président, c’est vous qui fixez la feuille de route de votre Ministre… Alors rappelez-lui vos priorités, rappelez-lui l’importance extrême dans l’histoire de la République Française de son école. Nous sommes 45000 fonctionnaires d’état à être chaque matin fidèles au poste, fiers de nos missions, opérant le miracle de faire fonctionner l’école du 21ème siècle avec des règles de plus de 40 ans…

Jusqu’à quand ?
Vous en avez la clé, et l’ultime responsabilité.
Assumez, ou alors annoncez clairement que cette priorité n’en est pas une, et qu’il ne sert à rien de jouer au loto en regardant les étoiles, avec l’espoir que l’une d’elle soit la bonne… Au moins, au lieu d’être baladés comme c’est le cas, nous pourrons décider du chemin de notre propre balade, et envoyer balader ces satanés zéros médiatiques qui polluent toujours et encore l’image de notre belle école auprès de vos électeurs…

Nous aimons nos élèves, si vous ne nous respectez pas, respectez-les au moins eux.

Marc Burlat
Le 13 décembre 2020