vendredi 18 mai 2018

Vers l'établissement du 1er degré...

Depuis de nombreuses années le GDiD est convaincu que le statut des Directeurs d'école, que nous réclamons depuis presque vingt ans, passera nécessairement par la création d' "établissements du 1er degré". Croire encore aujourd'hui que l’État accordera un statut et ce qui va avec à 45000 Directrices et Directeurs est une illusion.

Pourtant nous y avons cru. Le Grade à Accès Fonctionnel (ou GRAF) aurait été une reconnaissance spécifique qui aurait été un second pas - important - après celui du référentiel-métier. Mais le SNUipp et d'autres ont torpillé la chose, préférant la remplacer par un grade supplémentaire, la "classe exceptionnelle", qui concerne tout le monde mais surtout pas les Directeurs d'école au vu des résultats ahurissants de la première promotion.

Il est évident que la création des établissements du 1er degré est pour beaucoup de Directrices et Directeurs un pas qui n'est pas forcément facile à franchir. Pourtant depuis quelques années nos conditions de travail se sont tellement dégradées que nous prenons aussi tous conscience qu'il nous faut porter un projet viable qui nous permettra d'exercer avec sérénité ce métier que nous aimons. Parce que nous l'aimons, c'est clair ! Qui d'autre que nous sinon pourrait accepter de continuer à travailler avec sur la tête une telle épée de Damoclès ? Nos responsabilités - sécurité, projets, gestion quotidienne... - sont telles qu'il faut aujourd'hui une jolie dose d'altruisme pour oser persister.

Un statut pour tous, nous n'y croyons donc plus vraiment, du moins dans les conditions actuelles. Surtout en ce 21ème siècle où fort justement les énergies se regroupent pour inventer de nouveaux fonctionnements territoriaux : communautés de communes, métropoles... Le nombre de communes en France est en forte baisse depuis quelques années et le mouvement s'amplifie. Pourquoi les écoles ne devraient-elles pas suivre la même voie ?

Nous pensons donc qu'il devient indispensable de créer des établissements du 1er degré qui nous correspondent. Directrices et Directeurs d'école sont les mieux placés pour inventer un établissement dont le fonctionnement, les conditions et les attendus, soient à la mesure de ce que nous connaissons de l'école primaire et de ce que nous y aimons et ne voulons surtout pas perdre. Qui d'entre nous par exemple pourrait supporter qu'un tel établissement ne soit pas "dirigé" par un ancien enseignant du primaire ?

Il serait évidemment possible de réfléchir dans son coin et de proposer un "package" bien ficelé qui peut-être en fin de compte ne conviendrait à personne, car pour discuter depuis des années avec tant de Directrices et Directeurs d'école nous savons que nos méthodes et nos conditions de travail ne sont aucunement identiques d'une commune à l'autre, du rural à l'urbain, selon nos élèves, la "richesse" de la commune... Nous avons bien sûr un minimum commun, mais on ne construit pas un tel projet sur un minimum.

Le GDiD a choisi une autre voie. Nous devons convaincre, mais aussi écouter. Pour cela rien de mieux que de faire le tour du pays à la rencontre des Directrices et des Directeurs d'école, qui peuvent exprimer leurs attentes, leurs espoirs, leurs réticences, leurs doutes, leur expérience surtout qui permet doucement d'ajouter petit à petit quelques pierres plus solides à cet édifice complexe que sera l'établissement du 1er degré.

C'est ce à quoi s'emploie depuis un an et demi Alain Rei, dont c'était aujourd'hui à Dijon - sauf erreur - la 47ème réunion de ce type à la rencontre des Directrices et Directeurs d'école. Nous n'aurions pas les moyens techniques et financiers de procéder à cet exercice de long terme et de patience si nous n'étions pas soutenus par le SGEN-cfdt qui porte aussi depuis longtemps cette idée d'établissement primaire. Cela aurait bien entendu pu être un autre syndicat allié. Mais le SGEN nous a largement ouvert les portes, avec sincérité et sans prosélytisme. Mes réticences syndicales sont suffisamment connues pour que je ne puisse guère être suspecté de me "vendre" à une centrale quelconque. Mais je suis aussi suffisamment honnête pour reconnaître quand on rend au GDiD - dont les membres du bureau je le rappelle sont tous bénévoles - un service qui n'a pas de prix pour faire avancer cette cause qui nous tient tant à cœur.


J'étais donc aujourd'hui en compagnie d'Alain Rei et de Dominique Bruneau, Directeur d'école lui aussi mais également Secrétaire fédéral au SGEN-cfdt, qui accompagne Alain dans sa tournée française des régions, à l'écoute des Directrices, des Directeurs, pour expliquer et peaufiner un projet qui sera certainement, une fois finalisé, porté tout autant par le SGEN-cfdt que par le GDiD. Ce fut une réunion instructive et aussi étonnante tant la disparité de nos conditions de travail est forte, voire stupéfiante, entre par exemple ma petite maternelle de trois classes bien dotée et les 360 élèves dispersés sur six sites ruraux d'une collègue... Mais la discussion amène rapidement sinon des solutions du moins de nombreuses pistes de travail, et un consensus clair autour d'une part l'idée que nous sommes arrivés au bout de ce qu'il est humainement possible de réclamer aux Directrices et Directeurs d'école, d'autre part celle que l'établissement du 1er degré tel que nous le concevons est une solution valide et viable pour notre avenir.

Je ne peux que souhaiter qu'à terme le GDiD et le SGEN soient suffisamment convaincants pour être attentivement écoutés par le ministère, et que les établissements du 1er degré voient le jour. A deux ans de la retraite ce ne sera pas pour moi, mais rien n'interdit de travailler pour les suivants ! Surtout quand le ministre nous annonce sans rire qu'il "réfléchira" à la question en 2019...

Si donc Alain et Dominique passent par chez vous, n'hésitez pas à vous déplacer en "formation syndicale" que vous soyez syndiqué ou non et où que vous soyez syndiqué : c'est un droit, ça n'engage à rien... et ça peut rapporter beaucoup !

samedi 12 mai 2018

Les pieds et les poings liés...

Alors que la plupart des communes de France mettent fin à l'expérience - car c'en fut une - des rythmes scolaires à quatre jours et demi, peut-être peut-on tenter non pas un bilan, ce qui serait présomptueux, mais du moins de rapporter un point de vue :  celui de Directrices et Directeurs d'école qui se trouvèrent encore un peu plus, si cela était possible, les pieds et les poings liés.

Effectivement cette réforme fut comme de juste imposée sans concertation. Nous avons l'habitude de ce fonctionnement : le ministre dit "Je veux !", et le terrain doit s'exécuter comme il peut. Évidemment cela ne peut aller sans tâtonnements parfois malheureux ni sans heurts, car l'école primaire est un lieu bien particulier : son statut veut que le gestionnaire sans pouvoir en soit un enseignant bombardé "directeur d'école" - titre quasi honorifique tant il n'a aucunement les moyens de son action -, mais que le payeur soit une municipalité. Si j'ajoute que le ministère n'a aucune idée du fonctionnement d'une école ni de la charge qui pèse sur le fonctionnaire sensé la piloter, on a déjà un portrait bien peu flatteur qui explique la difficulté de trouver des agneaux pour le sacrifice.

Concrètement, pour répondre aux injonctions de l’État, il fallait pour les enseignants et leur Directeur accepter de se déplacer une demi-journée supplémentaire sans pour autant en recevoir une compensation financière, accepter souvent de laisser leur salle de classe à des intervenants extérieurs - soit abandonner contraints et forcés leur espace de travail -, gérer des "passations" parfois aléatoires (en maternelle, quel ingrat boulot quotidien !), assister à quelques réunions de plus... j'en passe. Il fallait pour les municipalités acheter du matériel et rémunérer des animateurs compétents - dans le meilleur des cas - qu'il fallait dénicher, rémunérer, fidéliser car nombreux sont ceux qui refusaient après quelques semaines de continuer à travailler dans ces conditions, payés à coups de lance-pierre à des horaires absurdes avec des enfants souvent exténués. En maternelle, nombreuses sont les communes à avoir utilisé les compétences de leurs ATSEM qui ont pu ainsi faire deux journées en une, quand elles n'avaient pas déjà la restauration ou la garderie en charge...

J'ai la chance de travailler dans une commune qui a pour l'école une énorme considération. Il y avait en amont de cette réforme des rythmes une responsable du périscolaire d'une rare compétence, et des élus attentifs à l'équilibre du système, à sa justice, à son personnel. Nous avons pu travailler ensemble et limiter les dégâts. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : j'ai quotidiennement béni celle que j'ai toujours considérée comme une collègue bien que gérant les "à-côtés" de l'école; pendant ces années elle a pris à sa charge tous les aléas, animateurs disparus ou malades à remplacer au pied-levé - quitte à le faire elle-même -, épuisement des personnels territoriaux après des journées non-stop, luttes de pouvoir entre enseignants et animateurs qui après quelques mois se pensent chez eux à l'école... La Directrice, le Directeur, est là aussi au milieu, apaise les uns, explique aux autres, écarte les bras de stupéfaction parfois devant des "histoires" à la noix et à n'en plus finir, discute le bout de gras avec le Maire et embrasse avec fougue et reconnaissance une responsable du périsco qui se démène sans arrière-pensée. Les deux y laissent leur énergie et leur santé.

Dieu merci, pour moi c'est fini.

Je suis totalement conscient d'avoir eu le meilleur dans cette histoire, parce que j'ai pu travailler avec des personnes responsables. Mais ailleurs ? On me rapporte régulièrement des conflits qui parfois vont même très loin, ces derniers jours encore dans une école maternelle de l'est de notre pays. La fatigue exacerbe les humeurs, fait ressortir ressentiments larvés - que d'habitude on parvient à mettre au placard - et luttes de pouvoir, comportements et rapports humains douteux, agressivité... avec un Directeur toujours au milieu, le cul entre deux chaises, mais conscient que la bonne atmosphère de son école est la clef première d'un travail serein et de la réussite des élèves. Car même s'il a charge de classe, comme 90% des Directrices et Directeurs d'école, il sait aussi qu'il est le premier concerné par le bien-être de tous les élèves de son école.

Je cite Eric Debarbieux:

"...
Journaliste : Beaucoup de directeurs d’établissement sont toujours vent debout contre la réforme des rythmes scolaires. Celle-ci les a obligés de fait à travailler (ou cohabiter) avec d’autres équipes « périscolaires ». Laisser chaque commune faire un choix n’est-il pas céder aux intérêts des adultes plutôt qu’à ceux des enfants ?

Eric Debarbieux : Il ne s’agit pas de directeurs d’établissement mais de directeurs d’école. Un directeur d’école n’a aucun statut hiérarchique. Il ne peut rien obtenir de ses collègues autrement que par son charisme. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas de vrais conflits de territoire avec le périscolaire ? Bien sûr cela se passe souvent bien mais j’ai eu cette année à faire avec une véritable malveillance en certains lieux contre la directrice d’école par exemple.
La réforme des rythmes a entraîné des problèmes de « pouvoir » parfois invraisemblables. Un exemple : ce cas de harcèlement qui se produit certes parfois pendant les heures scolaires et que la directrice tente de prendre en charge tout en se heurtant à un refus de celle qui se nomme « la directrice du périscolaire ». Où est dans ce cas la cohérence ?
Maintenant, l’égoïsme des adultes peut bien exister mais connaissez-vous une profession où, de manière autoritaire, on rajoute une demi-journée de travail sans compensation salariale, ce qui fut le cas de la réforme des rythmes. Il faut bien rappeler que l’enseignant des écoles primaires est aussi celui qui fait le plus d’heures et qui est le moins payé.
..."

Encore une fois nous nous heurtons concrètement à l'absence d'autonomie des écoles. On veut depuis des décennies nous faire croire que nous avons des "partenaires" : institution, Mairie... mais c'est faux, nous n'avons que des donneurs d'ordre ! Quand le ministre nous enjoint d'utiliser "des cahiers de format « 17 x 22 » à « réglure Séyès », pour qui nous prend-il ? Quand une commune décide de diminuer le budget accordé à son école, qu'y pouvons-nous ? La Directrice, le Directeur, observe, constate, peut éventuellement protester ou réclamer, mais ne sera pas entendu. Comme le dit Eric Debarbieux, le Directeur n'est pas chef d'établissement, il n'a pas de budget, pas d'autonomie, aucune marge dans son travail et de moins en moins. Il ne peut qu'acquiescer la mort dans l'âme, et devra en plus dire merci.

Je pense qu'il est temps que ça change. Mais je suis, je l'avoue, fort inquiet, car je ne vois pas chez notre ministre actuel la moindre velléité de changement ou de rénovation du système. Qui a vécu par l'administration perpétuera l'administration. Une institution telle que la nôtre, centralisée à l'extrême et jacobine au pire sens du terme, n'abandonnera jamais - ou très difficilement - ses prérogatives. En dépit de l'évidence de sa propre et continuelle faillite.