Certains se sont étonnés de mon silence depuis quelques semaines.
Il y avait de bonnes raisons à cela. Déjà la fatigue et la lassitude, après ces mois de confinement, de travail à domicile avec la gestion des enfants de soignants, puis un déconfinement impromptu en deux étapes qui a mis nos nerfs à rude épreuve. Ensuite la gestion de mon départ définitif et la passation de pouvoir, puisque je suis en retraite au 1er septembre. Enfin, et ce fut le principal, la volonté de ne pas polluer notre travail de fond du GDiD avec des considérations abruptes, des excitations et des énervements certes compréhensibles, mais clairement contraires à ce qu'il s'agit de faire quand on veut arriver quelque part. Les réactions à chaud ne sont généralement pas constructives. Depuis vingt années nous nous contraignons au GDiD à un travail ingrat, déprimant, dont aucun d'entre nous ne tire quoi que ce soit sinon lassitude et fatigue. J'ai donc préféré, et ça m'arrangeait bien, laisser la sauce retomber.
Du coup j'ai pu me montrer agressif voire désagréable avec certains d'entre vous, par courriel ou sur le groupe Facebook. Je m'en excuse. J'étais comme vous, très proche du fossé et fatigué, si cela peut excuser les mots que je regrette aujourd'hui même si sur le fond je les maintiendrais. Mais il y a aussi la forme. Vous me voyez désolé.
Nous avons eu un dernier trimestre d'école et une fin d'année sur les chapeaux de roue. Ce qui je le suppose pouvait également excuser les propos et jugements péremptoires que j'ai eu à connaître, toutes ces envolées à l'emporte-pièce sur le projet de loi Rilhac. Aujourd'hui que nos vacances sont terminées il est bon de dépassionner le débat. Ceci nous épargnera aussi les hurlements factices et les indignations surjouées, comme les critiques douteuses voire franchement suspectes qui ne servent que nos ennemis syndicaux.
Concrètement Mme Rilhac ne nous doit rien. Son projet de Loi au contraire est le fruit d'une obstination qui, parce qu'elle est députée de la majorité, l'a amenée à tenter de passer en force malgré les réticences. Je lui suis reconnaissant de sa remarquable obstination. D'autres députés qui pourtant tiennent depuis de longues années le même discours n'ont pas osé le faire.
Il est vrai que concrètement le texte d'origine a été vidé de la plus grande partie de sa substance. Le statut d'emploi fonctionnel a disparu du texte - à la demande de Mme Rilhac, je vais y revenir - et c'en était évidemment à mes yeux le principal. J'y reviendrai parce que cette disparition est logique, le GDiD a compris depuis longtemps qu'un changement de statut du Directeur impliquait un changement de statut de l'école. Qu'avons-nous à la place ? Un "emploi de direction", dont la définition relèvera du domaine réglementaire ce qui signifie que rien ne change. En revanche Directrices et Directeurs d'école bénéficient d'une "délégation de compétences de l'autorité académique pour le bon fonctionnement de l'école". C'est un pouvoir à défaut d'un statut, et il faudra prochainement bien marquer notre territoire sur ce point. Valérie Bazin-Malgras, députée de l'Aube et co-signataire d'une étude récente avec Cécile Rilhac, regrette : "On ne saura pas aujourd'hui à quoi cet emploi ressemble." Elle a effectivement raison. Sauf que le cadre de notre travail est déjà défini depuis le référentiel-métier. Il nous reste donc à prendre totalement la main, ce qui fut le cas ces derniers mois quand le Ministère était muet et que chacun d'entre nous avons fait ce que nous devions faire. Quand notre ministre nous délègue aujourd'hui - c'est un début - la gestion effective des "108 heures", ce n'est pas de la blague, nous n'avons aucun compte à rendre à personne. Ne vous faites pas avoir par un IEN trop zélé ou un DASEN incompétent !
La "décharge totale" à partir de huit classes a disparu du texte aussi, et à la demande de Mme Rilhac elle-même aussi. Si on veut me faire croire que notre députée a abandonné également ce second point par peur ou pour je ne sais quelle autre raison obscure, j'aurais tendance à m'esclaffer. Non, il y a eu des tractations, des assurances claires reçues du ministre, et la volonté de lui laisser la main pour qu'il puisse bénéficier de ce qui sera décidé avant le vote de la Loi. C'est de bonne guerre, c'est de bonne diplomatie. D'autant que je ne pense pas M. Blanquer adversaire de nous refiler l'intégralité du paquet de la Direction d'école, surtout après l'épreuve du feu que nous venons de subir. Clairement si dans le primaire le système a fonctionné à plein et immédiatement c'est de notre fait. Nous le savons, il le sait, comme tout le pays s'en est rendu compte et nous en a su gré. Si les "décharges de Direction" font partie des mesures réglementaires ? Certainement. Les inscrire dans la Loi est une erreur si aucun statut spécifique n'est dévolu aux Directrices et Directeurs d'école, une Loi est immuable et la faire évoluer un parcours du combattant.
Aujourd'hui le texte de Loi et les mesures décidées par le Ministère vont avancer de pair. M. Blanquer va devancer certaines demandes faciles, et le texte le Loi va passer au Sénat en octobre. Le Sénat va y remettre des choses enlevées, qui seront rebutées lors du second passage à la Chambre... Rien de nouveau à attendre. Le Ministre va donner ce qu'il peut donner, mais pour cela attendre les discussions avec les partenaires sociaux qui débutent le 9 septembre si je ne me trompe pas. Oui, nous y serons, avec nos complices syndicaux, ceux qui nous accompagnent depuis longtemps : le SE, le SGEN, le SNE... Pourquoi attendre ? Ben parce qu'il faut bien donner à manger aux syndicats, ces braves bourriques...
Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Il est certain que nos prérogatives vont évoluer, il est clair que nos conditions de travail vont changer - en indemnité par exemple -... de peu certainement mais le moindre est bon à prendre. En charge de classe ? Il y a aussi des chances. Peut-être également serons-nous accompagnés, si les communes acceptent de payer la facture. Pour autant il n'y aura pas de "statut" à la clef même si nos adversaires sont aujourd'hui bien incapables d’exprimer une raison valide à leur réticence obstinée : encore une fois cette crise du COVID aura servi notre objectif tant la réalité a une cruelle velléité de systématiquement revenir au galop.
Je suis conforté dans mes convictions : le statut ne changera pas si le statut de l'école ne change pas. Tant que ne seront pas créés des Etablissements du primaire, les Directrices et Directeurs d'école resteront tributaires d'un système injuste, quelque cautère on lui applique et les menus changements en marge. De la classe unique - vouée à disparaître - à l'école de trois classes, de l'école maternelle de campagne à la grosse école école de vingt classes ou pire, les conditions de travail resteront les mêmes, toujours aussi contraignantes, désespérantes, épuisantes, énergivores voire mortifères... et j'aimerais ne pas revivre le choc que fut le passage à l'acte de notre malheureuse collègue Christine il y a deux ans.
Je veux vous souhaiter une bonne rentrée. Nous sommes là, nous ne lâchons pas. Le GDiD travaille depuis trop longtemps peut-être, avec une infinie patience mais aussi beaucoup de présence et de volonté bénévole, pour abandonner sur le perron. Nous voulons bien essuyer nos pieds, voire mettre des patins pour entrer, mais nous continuerons aussi à pousser de nos épaules pour que la porte reste ouverte, et il y a déjà beaucoup de verrous qui ont sauté.
Portez vous bien, mettez vos masques, souriez car nous nous approchons du but ensemble. Moi-même je n'en profiterai pas mais combien je me réjouirai !