jeudi 22 octobre 2020

Maigrelet Grenelle ?

Le Ministre de l'Education nationale lance aujourd'hui jeudi 22 octobre le "Grenelle de l'éducation" devant le CESE. Après l'hommage national rendu hier à notre malheureux collègue Samuel Paty, c'est le moment des questions prosaïques : rémunérations, conditions de travail, ressources humaines... et Jean-Michel Blanquer rendra sa copie en février. Si rien ne vient encore contrecarrer les discussions.

Les circonstances augurent mal. Le drame que nous venons de connaître fait suite aux innombrables difficultés récentes du confinement, des quarantaines, du port du masque dont celui douteux (et trop petit) dont on nous dit aujourd'hui que nous devons le laisser de côté. Et puis ces mots du Premier ministre Jean Castex, qui a déclaré mardi devant la représentation nationale que l'Education nationale avait été « choyée » depuis 2017. Choyée ? La profession dans son ensemble est exsangue. Il y a des termes qu'on préfèrerait ne pas entendre.

Pour l'instant, puisque nous sommes Directrices et Directeurs d'école, ce qui nous concerne n'avance pas. Pas du tout. C'est toujours le néant. Il y a fort à parier que les cadres moyens que nous sommes, malgré la qualité du travail que nous fournissons, malgré la pression toujours plus forte, ne recevrons que des clopinettes. Sœur Anne ne voit aucun changement de statut à l'horizon, et notre rémunération ne devrait guère évoluer. Bien sûr il y a cette prime de 450 € (bruts) que les Directeurs recevront avec leur traitement du mois de novembre. Mais il est à craindre qu'elle reste exceptionnelle. A moins qu'elle ne vienne chaque année améliorer la maigre indemnité de 25 € nets par mois ? Bref... Peut-être vaut-il mieux en rire, avant de lâcher la fonction.

Pour l'ensemble de la profession, la seule certitude est que le Ministre a 400 millions d'euros à distribuer en 2021. Les syndicats n'ont pas vraiment été enthousiasmés par les divers scénarios qui leur ont été exposés. Il y aura certainement une  "prime d'équipement informatique" qui sera de 150 euros annuels (et non 50 euros comme évoqué auparavant). Le ministère aurait aussi renoncé à conditionner l'augmentation de 2021 à de nouvelles fonctions, heures sup ou formations... Cela reste à confirmer.

Vous voulez une petite simulation ? Pour accorder une journée de décharge hebdomadaire supplémentaire à chaque Directrice ou Directeur d'école qui ne l'est pas totalement, cela équivaudrait approximativement à 11000 emplois, soit 280 millions d'euros au minimum.

On pourrait être optimiste en regardant le protocole d'accord qui a été signé le 12 octobre au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) avec la Ministre Frédérique Vidal. Chercheurs et enseignants-chercheurs auront 6400 € d'augmentation d'ici à 2027. Mais la situation n'est pas la même à l'Education nationale, qui compte un million d'agents contre 250 000 pour l'ESR. Blanquer doit débourser 260 millions rien qu’en 2021 pour n’accorder qu’une prime de 135 euros nets mensuels au seul bas de l’échelle, qui représente 14% des effectifs. De plus, à la différence de Vidal, Blanquer n’a pas obtenu de Bercy la garantie d’une loi de programmation pluriannuelle. La visibilité pour les profs c'est 2021, et point-barre. Alors comment y croire ?

Nous avions pensé, après le geste tragique de Christine Renon, que certaines choses pouvaient évoluer. Nous pourrions penser, après le drame que nous venons de connaître, que certaines choses doivent changer. Jean-Michel Blanquer à déclaré mercredi au Sénat que « c'est la transformation de notre système, notamment pour des ressources humaines de proximité, autrement dit un système de l'éducation nationale beaucoup moins anonyme, beaucoup plus attaché à ce qui arrive à chaque professeur et à le suivre dans sa carrière, qui manifestera la reconnaissance du pays à tous les professeurs et au-delà de l'ensemble des mesures que nous prendrons ». Mais les beaux discours, même sincères, ne font pas le changement sans volonté réelle et profonde et les moyens financiers qui l'accompagnent. Alors je crains que ce "Grenelle de l'éducation" s'avère en fin de compte souffreteux et maigrelet.

dimanche 18 octobre 2020

... si vous voulez faire un esprit libre...

Comment écrire quelque chose de sensé dans un moment aussi dramatique ? J'ai été sidéré par le massacre - car il s'agit pas d'autre chose - dont notre collègue Samuel Paty a été la victime.

J'ai été sidéré par la violence de l'acte. Comment aurais-je pu simplement imaginer qu'il soit possible, en France, devant un établissement d'enseignement, de pousser la férocité et s'acharner jusqu'à couper la tête d'un homme ? Il était enseignant, il a été immolé parce qu'il faisait son métier.

Je lis, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, des tentatives d'explication, ou une volonté de compréhension. Comme s'il pouvait y avoir un raison ou une justification quelconque à un tel geste. Mais il n'y en a pas, il ne peut pas y en avoir. Encore moins quand l'assaillant veut lui donner une motivation religieuse, car pour les trois grandes religions du "Livre" le décalogue porte depuis Moïse cette injonction qu'on ne peut altérer "Tu ne tueras point." Chercher une explication c'est rechercher une excuse.

J'ai été sidéré mais je n'ai pas été étonné. Cela fait de nombreuses années maintenant que les écoles se préparent contre une intrusion malveillante. Jusqu'à présent il était question d'actions collectives, moins d'actes individuels perpétrés avec des moyens de fortune comme ceux qu'on trouve dans une simple cuisine. Pour autant, Directrices ou Directeurs d'école comme enseignants sommes hélas habitués à nous prévenir d'agressions parfois quotidiennes, verbales ou physiques, qui sont devenues courantes et nous démontrent chaque jour à quel point nous sommes isolés. Qui d'entre nous désormais saura rester totalement serein en quittant son lieu d'enseignement ? Nous aurons tous  dans un recoin de notre tête la désastreuse idée qu'aucun d'entre nous n'est à l'abri. Si l'objectif du terrorisme est bien d'insuffler une peur latente chez chacun, alors c'est une réussite.

Mais il nous faut lutter. Nous devons être courageux car il n'est pas question de céder, ne serait-ce que pour les innombrables chrétiens, juifs, musulmans, qui vivent en France paisiblement leur Foi qu'ils veulent compatibles avec la laïcité.

Je suis catholique, mais aussi fervent républicain, et depuis toujours un grand admirateur de la sagesse de nos lois laïques. N'importe quel croyant de n'importe quelle religion ne peut y voir que la simple application de ce qu'il considérera comme un don divin, celui du libre-arbitre. Le Coran lui-même l'exprime : « Pas de contrainte en religion ! (lâ ikrâh fî al-dîn) Le voie droite se distingue de l’erreur » (Coran 2,256). Nous avons en France depuis plus d'un siècle le droit imprescriptible de croire ou de ne pas croire, mais aussi le devoir d'appliquer les lois de la République. L'un ne va pas sans l'autre. Celui qui s'en éloigne ne peut recevoir aucune absolution de quelque sorte qu'elle soit pour un acte aussi abominable.

La peur ne peut pas, ne doit pas, nous faire abandonner notre mission. Certes enseigner est d'abord notre gagne-pain. Mais l'image des hussards noirs, célébrés autrefois par Péguy, n'était pas fausse. Nous restons des soldats de la République, des missionnaires laïcs qui œuvrons obstinément pour attirer les enfants vers la lumière du savoir et de l’esprit critique. N'oublions pas les propos tenus en 1903 par Ferdinand Buisson, co-prix Nobel de la Paix en 1927 et directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896: « Le premier devoir d’une République est de faire des républicains […]. Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit (...) et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui‑même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef quel qu’il soit, temporel ou spirituel. (…) Il s’agit rien de moins que de faire un esprit libre. Et si vous voulez faire un esprit libre, qui est ce qui doit s’en charger sinon un autre esprit libre? »

Sachons rester des esprits libres.

Pascal Oudot