mercredi 24 avril 2019

Adieu les colonies de vacances, vivent les colonies d'apprentissage !

Les colonies de vacances ont été tuées il y a vingt ans par des normes draconiennes, ces normes qui interdisent tout et n'importe quoi sous les prétextes les plus divers, et la poussée sécuritaire de familles qui incapables de gérer leurs rejetons imaginent le pire quand quelqu'un d'autre s'en occupe.

Aujourd'hui le gouvernement nous informe de la possibilité de faire prendre leur petit-déjeuner à l'école aux enfants. Il "débloque" même un budget.

Il y a quelques années en maternelle où j'enseigne le "goûter" faisait partie des moments sympas de la journée. En bons enseignants on organisait ça au mieux, chaque école à sa façon, mais toujours dans l'idée d'équilibre alimentaire et de plaisir. Nous faisions des goûters à thème, ou collectifs, ou... Cela nous a été interdit, les petits français devenaient obèses. Fort bien, un fonctionnaire ça fonctionne et ça obéit.

Voilà qu'on nous dit l'inverse. Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis, nous expriment doctement les girouettes professionnelles. Il fut un temps où le gouvernement Mendès-France se préoccupait de la santé d'enfants qui peu de temps après la guerre était menacés de rachitisme, d'autant qu'il fallait soutenir la filière laitière. Aujourd'hui on nous propose de jouer les stewarts  avec des chariots auprès de nos élèves...


Je ne blague pas, cette image vient d'un reportage, et je félicite les collègues qui s'y collent pour leur abnégation. Pour autant... est-ce que c'est notre boulot ?

Depuis de nombreuses années la manie générale consiste à nous mettre sur le dos tout les impérities de la société. Combien de fois ai-je entendu de doctes personnages proclamer avec conviction qu' "il faut commencer ceci ou cela à l'école" ou que "c'est à l'école qu'il faut le faire" ? Nous devons apprendre à nos élèves à se moucher - depuis la grippe H5N1 - et à éternuer dans leur coude, à traverser la rue, à faire du vélo, à nager - sans piscine -, j'en passe et des meilleures. Nous devons leur expliquer la sexualité, en veillant bien entendu à ne surtout pas parler de "genre" et en restant attentif à l'égalité des sexes afin de ne pas traumatiser l'un ou l'autre, dans des écoles où bientôt il sera interdit de répartir nos élèves selon le type d'activité pour ne pas léser les petites filles qui voudraient jouer au foot ou les garçons qui voudraient jouer à l'élastique... Un bon moyen d'exciter n'importe quel fantasme : n'a-t-il pas été raconté que les enseignants de maternelle allaient apprendre à leurs élèves à se masturber ?

Nous le faisons avec cœur, parce que nous préférons tous ne pas avoir des élèves qui ne se noient pas pendant leurs vacances dans la piscine de pépé, et qui ne se font pas écraser par un père d'élève ivre en sortant de l'école. Mais devons-nous nécessairement toujours pallier les incompétences familiales ? D'une part c'est le rôle d'un géniteur d'apprendre à son petit à se débrouiller dans ce monde cruel, et c'est bien ce que font toutes les espèces animales; l'être humain serait-il plus con qu'un merle, un lapereau ou un chimpanzé ? D'autre part nous reprocher ensuite de ne pas prendre le temps nécessaire aux apprentissages fondamentaux - l'essence de l'école - est un peu fort de café quand on constate le temps passé à autre chose. Ne serait-ce que la discipline, qui désormais nous est dévolue, puisque manifestement les familles ont renoncé à inculquer à leurs princes et princesses la moindre notion d'effort ou de comportement social (sans parler du respect de la loi, dont chacun désormais dans ce pays se fout éperdument).

Mes cinq ans je les renculotte - le propre d'un pantalon à cet âge est de tomber jusqu'aux genoux -, je torche des derrières - oui, ça arrive quand les ATSEM courent dans tous les sens -, je nettoie les plaies et je pansemente, je console évidemment et je rassure, j'engueule parce que "Non Enzo, on ne met pas un ver de terre dans le cou d'un copain !",  je fais des lacets des fermetures éclair et des boutons parce que dimanche est accroché avec lundi, en hiver je rentre dix doigts multipliés par trente dans des gants, je boucle des écharpes... Pourquoi pas effectivement leur servir le p'tit déj' ? J'attends avec impatience que dans la foulée on me demande de faire des petits déjeuners échelonnés, pour respecter les rythmes individuels, comme je le faisais il y a trente-cinq ans en colo. Certains de mes élèves arrivent à l'école en "garderie" dès 7h pour la quitter à 18h30, il serait finalement aussi bien qu'ils y passent la nuit : alors joujou puis dîner, "bonne nuit les petits" à la télé - comment ça n'existe plus ? -, pipi caca, douche et pyjama, bordage et bisou, endormissement... La dernière fois que j'ai fait ça c'était en classe de neige, je n'ai plus l'âge. De toute manière les classes de neige et les classes vertes aussi disparaissent : trop difficile, trop cher, trop compliqué à organiser.

J'ai un peu l'impression de vivre un cauchemar orwellien : les enfants pris en charge à leur naissance par l'Etat, des parents libérés des contraintes d’éducation assumées par des professionnels... J'ai déjà lu ça quelque part. Ah oui, c'est Huxley dans "Le meilleur des mondes". Chez Asimov aussi certainement. Les colonies de vacances c'est fini, alléluia voilà les colonies d'apprentissage ! Le rêve éveillé de Xavier Darcos est là mes amis, nous allons bientôt pouvoir changer des couches.

Pour ce qui concerne ces petits-déjeuners, j'attends avec une jubilation consternée les premières plaintes pour empoisonnement. Parce qu'au vu du nombre de Projets d'Accueil Individualisé que je fais depuis quelques années pour des allergies multiples y compris le lactose, ou des intolérances multiples et singulières, on va bientôt se marrer je vous le dis. Jaune, bien entendu. Sans compter ceux qui vont s'étouffer avec des crêpes ou je ne sais quoi d'autre. Chers collègues j'espère que vous connaissez tous bien la manœuvre de Heimlich. Et je n'ose même pas évoquer les interdits alimentaires religieux, le végétarisme et autre véganisme, bien répandus à notre époque...

Bref, on nous fout une merde supplémentaire sur le dos, bon courage aux copines et copains Directrices et Directeurs d'école qui vont se taper le boulot et les emmerdements et aussi peut-être le ménage tant qu'à faire - joie programmée des discussions avec les élus quant au rôle des ATSEM et du personnel d'entretien ! -. Comme d'habitude ce genre d'idée nous tombe du ciel sans nuage d'un ministère sourd comme un pot. Comme s'il n'y avait pas plus urgent à régler dans le fonctionnement de nos écoles et leur gouvernance. Comme si nos multiples soucis n'avaient aucune importance. Comme si...


samedi 13 avril 2019

Dictionnaire des idées reçues...

...

BOBARD :
Propos tenu par un Directeur (pour un enseignant, pour un Ministre, pour un Maire, pour un syndicat, pour un parent et son enfant).
Propos tenu par un Ministre (pour un enseignant, pour un Directeur, pour un Maire, pour un syndicat).
Propos tenu par un parent (pour un enseignant, pour un Directeur).
Propos tenu par un enseignant (pour un parent et son enfant, pour un Directeur).
Propos tenu par un Maire (pour un Directeur, pour un Ministre, pour un syndicat).
NB. : tout propos aussi absurde soit-il tenu par un enfant est considéré comme une vérité par les parents (voir PARENT).

CLASSE :
Lieu clos étrange, c'est le domaine d'activité d'un enseignant (voir ENSEIGNANT).
La porte en est fermée lorsqu'il est réservé à un enseignant, ouverte quand c'est celui d'un Directeur (pas le choix, il faut pouvoir entrer et sortir rapidement).
Comme dans un zoo, on peut y constater de nombreux mouvements d'une faune particulière habillée de maillots de foot et de robes roses (voir ENFANT).
On frappe avant d'entrer, sinon le risque peut être grand.
Semée d'objets divers en fin de journée, elle sent également très fort quand la faune présente a dix ans.

CONFIANCE :
Terme galvaudé. Généralement utilisé quand justement il vaut mieux se méfier. En ce sens proche des adjectifs "démocratique" et "populaire".
Est parfois utilisé en parallèle avec le terme "bobard" (voir BOBARD).
Cit. en forme de vidéo :



DIRECTEUR (Fem. DIRECTRICE):
Se dit d'une personne qui court partout (cf. Ludion - Criquet)
Habillé correctement en début de journée, la termine généralement sale et en sueur, la chemise sortant du pantalon ou le corsage en vrac.
Capable de mener deux activités en parallèle. Parfois ambidextre. Porte une casquette à double visière.
Exerce deux métiers simultanément. Cit. : "Celui-là, il saute dans tous les coins, on dirait un Directeur d'école." L.F. CELINE (apoc.)
Vigoureux et enthousiaste en début de carrière, perd ses forces, son énergie et ses illusions à mesure que le temps passe, finit souvent épuisé et amer.
Est obligé de se disperser pour recentrer autrui.
Ecoute facilement et constamment les doléances d'autrui. Personne n'écoute les siennes.
Gère indifféremment des adultes ou des enfants, le tout étant de se rappeler qu'on ne gère pas les premiers comme les seconds (quoique...).
Omniscient et polyvalent, sait tout, et sait tout faire dans une école.
A mal dans le dos, aux genoux, à la tête. Sujet au burn-out.
Punching-ball de prédilection, oralement ou physiquement, pour les parents (voir PARENT) ou les enseignants (voir ENSEIGNANT).
Rémunéré au lance-pierre.
Attend les vacances pour terminer ce qu'il n'a pas eu le temps de faire.
Parfois considéré comme une espèce en danger.
Fam. : dirlo - dirlette
Syn. : petit chef - caporal
Ant. : chef d'établissement - patron
Add. : peut parfois être con comme un balai - j'en ai connu -.

DSDEN :
Personnification locale de la pyramide institutionnelle et du Ministre (voir MINISTRE).
Pour les auteurs classiques, elle est une représentation des enfers mythologiques et les odeurs qui s'en exhalent sont souvent nauséabondes.

ENFANT :
Être de petite taille qu'on trouve dans une classe (voir CLASSE), généralement avec un maillot de football ou une robe rose.
Les éléments féminins portent des barrettes qui se perdent en cours de journée et qu'on retrouve partout.
Invariablement sale à un moment quelconque de la journée.
Souvent malentendant il ne comprend pas grand chose et demande à ce qu'on répète trois fois, n'a toujours pas compris.
Sourd à la critique. Croit tout ce que lui disent ses parents (voir BOBARD - PARENT).
Perd ses affaires.
Ment comme un arracheur de dent.
Renifle la goutte au nez.
Crie, court, griffe, mord, pince, bave, éternue, vomit.
Avenir de la Nation.
Syn. : petit roi - princesse
Fam. : razmoket

ENSEIGNANT :
Être cyclothymique, passe du rire aux larmes.
Champion de l'analyse transactionnelle, joue successivement au persécuteur ou à la victime auprès des familles (voir PARENT) ou d'un Directeur (voir DIRECTEUR).
S'enferme dans des lieux clos (voir CLASSE). Supporte difficilement qu'autrui y accède.
Parfois vindicatif, peut être agressif. En appelle à son IEN (voir IEN).
Pense que le Directeur est un factotum à son service, disponible à toute heure.
Ne sait pas changer un toner de photocopieur (voir PHOTOCOPIEUR).
Ne supporte pas l'idée d'avoir un chef et lutte vigoureusement contre toute idée de statut pour les Directeurs (voir STATUT). Est bien content d'avoir un chef quand il en a besoin ou pour changer le toner du photocopieur.
Attend les vacances. Cit. : "Alors, encore en vacances ?"
Syn. : professeur des écoles - instituteur (fem. institutrice)
Fam. : instit (positif) - "connard de prof" (négatif)

IEN :
Image territoriale de la DSDEN (voir DSDEN). Selon ses aspects, la créature peut être bienfaisante ou malfaisante.

MINISTRE :
Être lointain, souvent renouvelé, qui laisse peu de souvenir en mémoire.
Se répand dans les médias.
Croit n'importe qui pourvu qu'il ait un titre universitaire.
Ne comprend rien à ce que font ses administrés. Est toujours surpris par leur résistance passive.

PARENT :
Être cyclothymique, parfois naïf, parfois malfaisant, généralement indifférent et donc absent mais souvent vindicatif et évidemment présent (à deux moments de la journée, en début et en fin : "Tu ne te salis pas !" - "Pourquoi il est tout sale ? ".
Sourd à la critique. Ne supporte pas d'être interrompu. Croit tout ce que lui disent ses enfants (voir BOBARD - ENFANT).
Peut être agressif, voire dangereux. Cit. : "Mais vous ne les surveillez donc pas ?"
Redoute les vacances.

PHOTOCOPIEUR :
En panne.
Suscite des files d'attente nerveuses.

STATUT :
Illusion morbide très répandue chez les Directeurs d'école, combattue vigoureusement par certains "représentants du personnel" (voir SYNDICAT) et soutenue par d'autres.
Arrivera un jour, quand je serai en retraite. A moins que les Directeurs disparaissent du paysage éducatif (voir DIRECTEUR).

SYNDICAT :
Organe multiforme composé de "représentants du personnel".
Souvent persuadé qu'il sait mieux que les agents de terrain ce qui leur convient.
Ménage la chèvre et le chou pour n'agacer personne.
Selon l'obédience et le Dieu qu'il sert, un syndicat peut être proche des besoins de statut (voir STATUT) des Directeurs (voir DIRECTEUR), ou au contraire en combattre vigoureusement la simple évocation avec des incantations péremptoires.
Très actif les cinq mois qui précèdent les élections professionnelles, en sommeil le reste du temps.

VACANCES :
Toujours trop courtes.
Moment privilégié de la vie d'un Directeur ou d'un enseignant. Le premier en profite pour terminer les multiples tâches qu'il n'a pas eu le temps d'accomplir, le second pour collectionner des feuilles mortes (automne), des coquillages (été).
Cit. : "Il est maso, le dirlo, maintenant qu'il a bouclé son boulot il ramasse des feuilles !" L.F. CELINE (apoc.)

...

To be completed.

mercredi 3 avril 2019

Arrogance et mensonges...

"Arrogance et mensonges", cela pourrait être le titre d'un roman inédit de Jane Austen. C'est hélas celui d'un triste feuilleton  dont le scénario n'amuse personne.

Quand un gouvernement est suffisamment arrogant pour refuser toute concertation, suffisamment imbu de ses compétences pour écarter toute discussion avec les corps intermédiaires, on arrive à ce projet de "Loi pour l'école de la confiance" dont le nom si facile à détourner montre à quel point il le porte mal.

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir réclamé des rendez-vous. Mais M. le Ministre, si prompt durant deux ans à se répandre dans les médias - au point que ceux-ci charmés d'avoir du papier à vendre l'ont unilatéralement consacré "le meilleur ministre du gouvernement" -, n'a jamais seulement daigné répondre aux demandes d'entretien du GDiD. Même pas un non sequitur poli. Je ne sais pas s'il lui est arrivé de répondre aux syndicats d'enseignants, mais à mon avis ils n'ont pas été mieux lotis.

Je me rappelle que M. Blanquer avait déclaré avec vigueur qu'il n'y aurait pas de "loi Blanquer". Il faut croire que quand on est ministre de l'Education nationale on peut difficilement s'abstenir... Honnêtement il y a beaucoup à faire pour une école en perdition. Mais il y a l'art et la manière. Le texte, arrivé à la chambre sans préparation ni négociation, fut amendé à la marge puis voté le 19 février. Son passage au Sénat n'aura lieu qu'en mai prochain, et je pense qu'il y sera âprement discuté car de nombreux sénateurs s'offusquent que le statut des Directeurs d'école n'y soit pas seulement évoqué. Si on ajoute les frictions actuelles entre le gouvernement et la Chambre haute où LaREM n'est pas majoritaire, on peut légitimement je crois subodorer quelques péripéties réjouissantes.

Parce que nous devons bien l'écrire, nous attendons depuis des années une métamorphose et c'est une bestiole informe, rampante et sans éclat qui sort du cocon. Les Directrices et Directeurs d'école veulent une vraie prise en compte de leurs difficultés ? Ils veulent un statut qui reconnaisse leur métier ? Incomplet, imprécis, ce projet de loi est une coquille vide qui n'apporte pas de réelle nouveauté en dehors de la création des EPLSF et de ces "directeurs adjoints au principal" aux contours indécis et dont nous pouvons tous légitimement nous demander en quoi cela devrait changer notre sort.

Alors évidemment ce texte si facilement critiquable est allègrement battu en brèche depuis six semaines. Certains syndicats s'en sont donné à cœur joie en inventant tout et n'importe quoi. Je ne peux même pas le leur reprocher, c'est en somme si facile. Les mensonges les plus ahurissants se sont accumulés. J'ai lu de ces trucs ! Incroyable !

Soudain le ministre s'est rendu compte que le monde enseignant s'affolait de ce projet flou et confus. Et voilà qu'en moins d'une semaine il accorde des rendez-vous aux syndicats professionnels, il se fend de deux courriels successifs pour nous expliquer ce que vraisemblablement nous n'avions pas compris (pour sûr, ce n'est pas écrit)... et nous promet des choses qui ne sont pas inscrites dans son texte ni ne font vraiment avancer la question. Mais n'est-ce pas un peu tard pour éviter des erreurs grossières et des oublis stupéfiants ?

Je cite : " (...) enfin, sur le statut des directeurs d’école : je tiens à apporter toute garantie quant au maintien de la fonction de directeur d’école. Il n’est pas envisageable qu’une école n’ait pas un responsable local, interlocuteur naturel des parents et de la commune. J’ajoute que nous souhaitons justement avancer par le dialogue social vers une plus grande reconnaissance du rôle de la directrice et du directeur d’école. (...)"

J'ai déjà longuement expliqué la teneur du texte en ce qui nous concerne dans mes précédents billets, je n'y reviendrai donc pas. Mais je suis navré de faire savoir à M. le Ministre que ce qui n'est pas inscrit dans la loi n'est pour moi que bobards, pour reprendre le mot à la mode dans les cercles de pouvoir.

Alors M. le Ministre nous annonce avec fierté que la question des Directeurs d'école sera à l'agenda social le 15 avril. Ouaaaah, dans quinze jours ? Quand on veut faire vite, c'est manifestement possible. Je ne sais pas si ce sera assez tôt pour éteindre l'incendie qui couve, car je rappellerai tout de même que la question était inscrite... pour le mois de janvier ! Y aurait-il le feu à la paillasse ? Quelque sourde inquiétude pointerait-elle son narquois museau pointu ?

Pour l'instant le GDiD n'a pas de son côté reçu de nouvelle. Alors que pour les précédents gouvernement depuis quinze ans nous avons toujours été considérés comme de dignes interlocuteurs du ministère, nous restons aujourd'hui tout autant ignorés que nos idées et nos projets.


J'ai le droit de m'en amuser, bien sûr, avec une certaine ironie. Car heureusement, dans l'éventualité où nous ne soyons pas conviés à des discussions qui pourtant nous concernent au premier chef, nos alliés syndicaux eux seront dans la place. Sauront-ils faire comprendre que les Directrices et Directeurs d'école n'en peuvent plus et qu'ils ont absolument besoin des moyens nécessaires à l'exercice de leur métier ? Sauront-ils faire comprendre que c'est l'intérêt de nos élèves et leur réussite qui motivent notre volonté d'un statut ? Sauront-ils faire comprendre que PERSONNE ne doit être laissé de côté ? On peut l'espérer.


lundi 1 avril 2019

Pour vos Sénateurs...

Voici le texte que je viens d'envoyer aux Sénateurs et à la Sénatrice de mon département, en changeant le texte évidemment pour cette dernière.

Je vous suggère un copier-coller, les corrections éventuelles en relisant attentivement, et un envoi aux élus de votre secteur dont vous connaîtrez les coordonnées de courriel en cliquant ici.

"...

Pascal Oudot
adresse
Directeur d'école
membre du bureau du GDiD

Monsieur le Sénateur,

le texte de la "Loi pour l'école de la confiance" est aujourd'hui entre vos mains. Comme Directeur d'école du département dont êtes le représentant, ce texte m'interpelle à plusieurs niveaux par son cruel manque de clarté. Je pense que c'est au Sénat, dont les élus sont d'abord ceux des territoires, de tout faire pour donner à ce texte une réelle portée, d'abord quant à la gouvernance des écoles dont on sait depuis longtemps maintenant l'importance pour la réussite des élèves. Car il s'agit bien là de notre objectif à tous, faire réussir les enfants de la Nation ne peut laisser indifférent personne et surtout pas ceux qui comme moi sont quotidiennement sur le terrain, ou nos élus locaux qui s'échinent à donner à l'école le maximum qu'ils peuvent. Mais on ne peut se permettre d’attendre des décrets d'application qui sont pour l'instant dans les limbes alors que plusieurs points peuvent voire même doivent être inscrits dans la loi.

De nombreuses questions se posent. D'abord pour ce qui concerne la création des "établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux" (ou EPLSF). Je tiens à vous préciser, Monsieur le Sénateur, que je considère ces établissements comme une chance supplémentaire pour nos élèves. Nos écoles sont souvent isolées et parfois sans trop de moyens, créer une synergie matérielle et pédagogique, des liens forts entre école et collège, m'apparait comme une opportunité supplémentaire que certains territoires sauront certainement exploiter. Pour autant ils ne peuvent être un modèle unique de fonctionnement de l'école primaire.

La création de ces établissements ne relève que d'un accord entre une ou plusieurs communes et l'Etat. Jamais il n'est question de seulement consulter la communauté éducative. Notre Histoire récente montre pourtant que ne pas demander son avis à la population ou au moins aux Conseils d'école n'est pas une bonne idée, et explique en grande partie la tonitruante faillite de la réforme des rythmes scolaires.

D'autre part, s'il est bien précisé que les "adjoints au chef d'établissement" seront issus du premier degré, rien n'est dit quant aux conditions de ces nominations. Diriger une école est un métier, une profession spécifique qui prend toute son ampleur avec l'expérience. Cela a bien été reconnu d'abord avec le référentiel-métier de décembre 2014, ensuite avec la "classe exceptionnelle" des accords PPCR, qui concerne en grande partie les Directrices et Directeurs d'école. Il me semble indispensable d'inscrire dans la loi que ces "adjoints" devront non seulement être issus du premier degré, ce qui est dans le texte, mais aussi et surtout qu'ils devront avoir été Directeurs d'école pendant x années (une forme de VAE donc), sinon certains de ces postes échoiront à des personnels qui ne connaissent rien à la mission et cela pourrait être catastrophique. Un métier aussi important ne s'improvise pas. Parallèlement, quel sera le statut de ces "adjoints" ? Le flou est ici total. Actuellement un "adjoint au chef d'établissement" est légalement un "personnel de direction", mais ce statut ne s'acquiert que par concours. Ren dans le texte ne précise ni les personnels concernés ni la forme de leur recrutement. C'est un comble quand on connait la précision générale du Code de l'éducation.

Enfin rien n'est écrit quant au pilotage quotidien des écoles. Pour une Directrice ou un Directeur d'école, le travail administratif est une chose. C'est lourd souvent, et dans le cadre d'un EPLSF s'en trouver libéré par un personnel de Direction qui en aura la responsabilité peut être une bonne idée. Mais le principal de notre charge de travail est souvent représenté par le contact avec les familles ou les élèves, qui tous ont besoin sur site d'une représentation symbolique de l'Etat et de l'autorité. Le titre même de "Directeur d'école" porte une charge historique forte et tutélaire. La Directrice ou le Directeur d'école est un interlocuteur indispensable au quotidien pour chacun. Or rien n'est inscrit dans le texte de loi quant à cette représentation de l'Etat sur chaque site concerné par un EPLSF. C'est d'ailleurs ce qui fait craindre à beaucoup la "disparition" des Directeurs d'école. Ce serait une erreur dramatique de ne pas prévoir dans chaque école un responsable reconnu au titre clair ("Directeur de site", "Directeur référent",...). Cela ne ferait qu'enliser encore un peu plus l'école dans les problèmes d'irrespect de l'institution et de violence qui depuis quelques années s'accentuent à un rythme exponentiel et contrarient la réussite de nos élèves comme la santé des personnels. Et puis quelle serait pour un tel responsable la reconnaissance officielle de son investissement, en temps ou en rémunération ? Quelle serait l'étendue de ses responsabilités ? Parce qu'il n'est pas question que ce Directeur référent ait le statut actuel d'un Directeur d'école, pour la simple raison légale que la responsabilité d'une école ne peut pas être partagée avec un "adjoint au chef d'établissement" qui dans le texte proposé "exerce (...) les compétences attribuées au directeur d’école".

Si mes propos précédents concernent les "établissements publics locaux des savoirs fondamentaux", il est une autre question qui avec le texte de loi reste sans réponse, c'est celle de la gouvernance des écoles qui ne seront pas concernées par la création d'éventuels EPLSF, c'est à dire la grande majorité. Aujourd'hui piloter une école est, je l'ai déjà écrit, un métier. Mais c'est surtout un métier d'expert qui requiert une présence et une disponibilité permanentes.

La création des EPLSF n'est pas une réponse au mal-être des Directrices et Directeurs d'école. C'est une anecdote, un moyen supplémentaire, un besoin peut-être. Mais qui ne résoudra aucunement le problème. La question est connue depuis plusieurs décennies, je peux au moins remonter jusqu'au projet de M. Monory en 1986 de créer des "maîtres-directeurs". Depuis cette époque, les rapports et autres études n'ont fait que souligner l'extraordinaire importance de la Direction d'école dans la réussite des élèves. Ces documents ne sont pas uniquement français, ils viennent des pays de l'OCDE les plus performants en ce domaine, de l'Union Européenne, de partout. Combien de représentants à la Chambre ou au Sénat depuis trente ans se sont escrimés à réclamer un statut pour les Directrices et Directeurs d'école ?

Bien entendu certains syndicats ne l'entendent pas de cette oreille. Si je m'abstrais de leur représentativité réelle, je constate un pouvoir de nuisance disproportionné, alors que plusieurs autres centrales syndicales sont prêtes à discuter des besoins de la Direction d'école dans notre pays, parfois même avec des projets. Je peux citer le SGEN-CFDT, le SE-UNSA, le SNE. Une association aussi, le GDiD qui regroupe plusieurs milliers de praticiens, apporte sinon des solutions du moins une idée forte de l'avenir du métier de Directeur d'école, ce métier ingrat qui n'attire plus aucun candidat alors qu'il est la base du succès scolaire de chacun des enfants de notre pays. Parce que le GDiD est conscient des enjeux budgétaires, il propose la création d'établissements du premier degré. Ces établissements regrouperaient selon les besoins des communes ou d'une intercommunalité les écoles d'un secteur bien défini, en faisant abstraction du collège. Ce serait une demande conjointe des territoires et des écoles concernées, dont la synergie pédagogique et financière permettrait de donner à chaque élève les moyens de sa réussite individuelle, avec un pilotage attaché aux besoins réels du terrain et des élèves. Le Directeur d’école deviendrait alors chef d’établissement. Encore resterait-il des écoles isolées, dont la charge d'investissement du responsable ne peut être passée sous silence. Les Directrices et Directeurs d'école concernés ne devront pas non plus rester ignorés.

Comme vous pouvez le constater, Monsieur le Sénateur, la "loi pour l'école de la confiance" pose plus de questions qu'elle n'en résout. Au-delà de son nom qui parait pour nombre d'enseignants comme une provocation inutile, elle ne dit rien quant à nos problèmes quotidiens. Certes le premier article souligne - une fois de plus - la nécessaire confiance qui doit s'installer entre l'école et les familles, mais ce vœu pieux ne s'accompagne d'aucune mesure concrète. Et puis vous ne devez pas oublier que 80% des Directeurs d'école de notre pays ont charge de classe, pour la plupart à 100% en plus de leur mission de Direction. C'est mon cas, Monsieur le Sénateur, j'ai ma classe à temps plein et je dois gérer mon école en même temps. Comment pourrais-je faire deux métiers aussi prégnants simultanément ?  Depuis quinze ans que je l'exerce sans soutien, je peux vous assurer que ce n'est que jongler constamment entre deux devoirs contraignants, constamment au détriment de l'un ou de l'autre. Est-ce cela que méritent nos enfants ?

Rien dans le texte de loi proposé n'est prévu pour résoudre le problème. Pourtant il n'est pas mineur. Je suis âgé, Monsieur le Sénateur, j'ai confiance dans le système démocratique de notre pays, j'ai confiance dans les contre-pouvoirs prévus par notre Constitution, je suis sûr que la question de la réussite des enfants de notre Nation ne peut pas vous laisser indifférent.  Mais je crois aussi du devoir de chaque citoyen d'informer ses représentants des problèmes que l'évolution de notre pays et de notre société pose constamment. Il est temps, Monsieur le Sénateur, de résoudre celui-ci.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Sénateur, l'expression de mes salutations citoyennes respectueuses.

Pascal Oudot
..."