mercredi 24 avril 2019

Adieu les colonies de vacances, vivent les colonies d'apprentissage !

Les colonies de vacances ont été tuées il y a vingt ans par des normes draconiennes, ces normes qui interdisent tout et n'importe quoi sous les prétextes les plus divers, et la poussée sécuritaire de familles qui incapables de gérer leurs rejetons imaginent le pire quand quelqu'un d'autre s'en occupe.

Aujourd'hui le gouvernement nous informe de la possibilité de faire prendre leur petit-déjeuner à l'école aux enfants. Il "débloque" même un budget.

Il y a quelques années en maternelle où j'enseigne le "goûter" faisait partie des moments sympas de la journée. En bons enseignants on organisait ça au mieux, chaque école à sa façon, mais toujours dans l'idée d'équilibre alimentaire et de plaisir. Nous faisions des goûters à thème, ou collectifs, ou... Cela nous a été interdit, les petits français devenaient obèses. Fort bien, un fonctionnaire ça fonctionne et ça obéit.

Voilà qu'on nous dit l'inverse. Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis, nous expriment doctement les girouettes professionnelles. Il fut un temps où le gouvernement Mendès-France se préoccupait de la santé d'enfants qui peu de temps après la guerre était menacés de rachitisme, d'autant qu'il fallait soutenir la filière laitière. Aujourd'hui on nous propose de jouer les stewarts  avec des chariots auprès de nos élèves...


Je ne blague pas, cette image vient d'un reportage, et je félicite les collègues qui s'y collent pour leur abnégation. Pour autant... est-ce que c'est notre boulot ?

Depuis de nombreuses années la manie générale consiste à nous mettre sur le dos tout les impérities de la société. Combien de fois ai-je entendu de doctes personnages proclamer avec conviction qu' "il faut commencer ceci ou cela à l'école" ou que "c'est à l'école qu'il faut le faire" ? Nous devons apprendre à nos élèves à se moucher - depuis la grippe H5N1 - et à éternuer dans leur coude, à traverser la rue, à faire du vélo, à nager - sans piscine -, j'en passe et des meilleures. Nous devons leur expliquer la sexualité, en veillant bien entendu à ne surtout pas parler de "genre" et en restant attentif à l'égalité des sexes afin de ne pas traumatiser l'un ou l'autre, dans des écoles où bientôt il sera interdit de répartir nos élèves selon le type d'activité pour ne pas léser les petites filles qui voudraient jouer au foot ou les garçons qui voudraient jouer à l'élastique... Un bon moyen d'exciter n'importe quel fantasme : n'a-t-il pas été raconté que les enseignants de maternelle allaient apprendre à leurs élèves à se masturber ?

Nous le faisons avec cœur, parce que nous préférons tous ne pas avoir des élèves qui ne se noient pas pendant leurs vacances dans la piscine de pépé, et qui ne se font pas écraser par un père d'élève ivre en sortant de l'école. Mais devons-nous nécessairement toujours pallier les incompétences familiales ? D'une part c'est le rôle d'un géniteur d'apprendre à son petit à se débrouiller dans ce monde cruel, et c'est bien ce que font toutes les espèces animales; l'être humain serait-il plus con qu'un merle, un lapereau ou un chimpanzé ? D'autre part nous reprocher ensuite de ne pas prendre le temps nécessaire aux apprentissages fondamentaux - l'essence de l'école - est un peu fort de café quand on constate le temps passé à autre chose. Ne serait-ce que la discipline, qui désormais nous est dévolue, puisque manifestement les familles ont renoncé à inculquer à leurs princes et princesses la moindre notion d'effort ou de comportement social (sans parler du respect de la loi, dont chacun désormais dans ce pays se fout éperdument).

Mes cinq ans je les renculotte - le propre d'un pantalon à cet âge est de tomber jusqu'aux genoux -, je torche des derrières - oui, ça arrive quand les ATSEM courent dans tous les sens -, je nettoie les plaies et je pansemente, je console évidemment et je rassure, j'engueule parce que "Non Enzo, on ne met pas un ver de terre dans le cou d'un copain !",  je fais des lacets des fermetures éclair et des boutons parce que dimanche est accroché avec lundi, en hiver je rentre dix doigts multipliés par trente dans des gants, je boucle des écharpes... Pourquoi pas effectivement leur servir le p'tit déj' ? J'attends avec impatience que dans la foulée on me demande de faire des petits déjeuners échelonnés, pour respecter les rythmes individuels, comme je le faisais il y a trente-cinq ans en colo. Certains de mes élèves arrivent à l'école en "garderie" dès 7h pour la quitter à 18h30, il serait finalement aussi bien qu'ils y passent la nuit : alors joujou puis dîner, "bonne nuit les petits" à la télé - comment ça n'existe plus ? -, pipi caca, douche et pyjama, bordage et bisou, endormissement... La dernière fois que j'ai fait ça c'était en classe de neige, je n'ai plus l'âge. De toute manière les classes de neige et les classes vertes aussi disparaissent : trop difficile, trop cher, trop compliqué à organiser.

J'ai un peu l'impression de vivre un cauchemar orwellien : les enfants pris en charge à leur naissance par l'Etat, des parents libérés des contraintes d’éducation assumées par des professionnels... J'ai déjà lu ça quelque part. Ah oui, c'est Huxley dans "Le meilleur des mondes". Chez Asimov aussi certainement. Les colonies de vacances c'est fini, alléluia voilà les colonies d'apprentissage ! Le rêve éveillé de Xavier Darcos est là mes amis, nous allons bientôt pouvoir changer des couches.

Pour ce qui concerne ces petits-déjeuners, j'attends avec une jubilation consternée les premières plaintes pour empoisonnement. Parce qu'au vu du nombre de Projets d'Accueil Individualisé que je fais depuis quelques années pour des allergies multiples y compris le lactose, ou des intolérances multiples et singulières, on va bientôt se marrer je vous le dis. Jaune, bien entendu. Sans compter ceux qui vont s'étouffer avec des crêpes ou je ne sais quoi d'autre. Chers collègues j'espère que vous connaissez tous bien la manœuvre de Heimlich. Et je n'ose même pas évoquer les interdits alimentaires religieux, le végétarisme et autre véganisme, bien répandus à notre époque...

Bref, on nous fout une merde supplémentaire sur le dos, bon courage aux copines et copains Directrices et Directeurs d'école qui vont se taper le boulot et les emmerdements et aussi peut-être le ménage tant qu'à faire - joie programmée des discussions avec les élus quant au rôle des ATSEM et du personnel d'entretien ! -. Comme d'habitude ce genre d'idée nous tombe du ciel sans nuage d'un ministère sourd comme un pot. Comme s'il n'y avait pas plus urgent à régler dans le fonctionnement de nos écoles et leur gouvernance. Comme si nos multiples soucis n'avaient aucune importance. Comme si...


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