J'aime la danse, mais les valses-hésitations m'exaspèrent. Entre Chambre, Sénat, Commission paritaire, Chambre de nouveau, puis les décrets qui vont nous tomber dessus pendant les grandes vacances, la question de la direction d'école en France n'est pas prête d'être résolue.
Que partout des voix s'élèvent pour rappeler que les Directeurs d'école sont la cheville ouvrière du fonctionnement de l'institution, le ministre s'en bat l’œil. Comme ses prédécesseurs. Que chacun lui rappelle également qu'un changement du fonctionnement de l'école ne peut être appliqué sans l'implication des Directeurs d'école, le ministre s'en bat l’œil aussi, mais pas le même... Deux yeux au beurre noir ça n'aide pas à voir bien clair, ni bien loin.
Les Directrices et Directeurs d'école, qui fonctionnent aujourd'hui on ne sait trop comment, continuent en dépit de tout bon sens à faire deux métiers à la fois. Imaginez un pilote d'Airbus faisant en même temps le service en cabine... Tout le monde bien entendu compte sur notre conscience professionnelle, et malheureusement tout le monde a raison : nous faisons et continuerons tous à faire, nous autres Directrices et Directeurs d'école exploités jusqu'à la moelle, tout ce que nous pourrons pour que nos écoles "tournent". Des bons cons, quoi. Nous sommes comme de juste les dindons d'une farce cruelle qui n'est pas prête de finir.
Vous préférez quoi : Renoir ou Feydeau? "La grande illusion" ou "Le dindon" ?
Il y a quelques décennies, être Directeur d'école était une sinécure consistant en gros à remplir un registre matricule avec les noms des élèves nouvellement admis dans l'école, et à faire les gros yeux à un élève indiscipliné, tant était importante l'aura de la direction d'école. Essayez donc aujourd'hui, tiens, si vous ne vous prenez pas une baffe de l'élève en question ou de son grand frère ou de sa mère ou... vous pourrez vous estimer heureux. Ils ne sont pas fous, les parents d'élèves, ils voient bien comment l' État nous traite ! Pourquoi diable en feraient-ils autrement ?
Après l'abandon des "maîtres-directeurs" dans les années 80, suite aux grèves et autres manifestations menées par des syndicats rétrogrades aux cris de "Non aux petits chefs !", grèves et manifestations bien entendu suivies sans réfléchir par les enseignants de l'époque, c'est la Loi d'orientation de M. Jospin en 1989 qui a changé la donne, en accordant aux Directeurs d'école, présidents des Conseils d'école et des Conseils de maîtres, une responsabilité pédagogique qu'auparavant ils ne possédaient pas. Travailler sur projets devenait la norme dans les années qui suivirent, impliquant pour les Directeurs un rôle d'animateur d'équipe pour lequel ils n'étaient pas formés, et qui changeait fortement la teneur de leur responsabilité comme son ampleur. Et puis, les mesures sécuritaires : le Directeur d'école est aujourd'hui pénalement responsable de la sécurité de ses élèves comme de son école, dans le lieu même comme en déplacement. Notre rôle n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a vingt ou trente ans.
Les réglementations qui tombèrent dru dans les années 2000 ne firent qu'empirer la situation, les mesures et responsabilités s'accumulant sans qu'aucune autre soit retranchée, asphyxiant peu à peu les Directeurs d'école sous une avalanche de devoirs envers les familles et l’État, sans qu'évidemment aucune contrepartie soit accordée, à part peut-être - soyons honnête - une légère évolution des conditions de décharge. En refusant le statut de "maître-directeur" les instits des années 80 s'étaient bien plantés, et ce sont les Directrices et Directeurs d'école d'aujourd'hui qui s'en mordent les doigts. Mangez des raisins verts...
Le référentiel-métier de décembre 2014 a entériné et inscrit dans les textes l'importance de notre rôle, sans pour autant nous en apporter les moyens. La "Loi pour l'école de la confiance" aurait pu changer la donne. On pouvait y croire après le rapport de la "mission-flash" Rilhac-Bazin. Mais le soufflé s'est effondré sous les obsessions ministérielles...
Mais pensez-vous que l'idée d'inféoder l'école primaire au collège soit nouvelle ? Vous vous feriez des illusions... Voici ce qu'en juillet 2011 Vincent Peillon alors ministre - de "gôche" - de l’éducation nationale répondait au député Frédéric Reiss à la Commission des Affaires Culturelles et de l'éducation de l'Assemblée Nationale :
"Parmi les questions qui sont plus particulières, la question des directeurs d’école reviendra sans cesse. Il y a beaucoup d’écoles en France. Nous n’avons pas aujourd’hui la possibilité de donner ce statut.
(...)
Après, si l’on veut évoluer, il faut évoluer dans une réflexion qui est une réflexion quand même de coordination, je sais que c’est très difficile, mais entre le collège et l’école primaire."
Quoi de neuf sous le soleil ? Ah nous autres du GDiD nous sommes-nous bien faits rembarrer quand nous disions partout que, sans statut pour les Directeurs, l'école primaire se trouverait sous la coup des principaux de collège. Qui nous a entendu ? Pourtant, comme l'écrivait Frédéric Reiss en 2010 :
Tout individu a prononcé, prononce ou prononcera la phrase suivante : « Je veux parler au directeur ! ».
Quand on rencontre un problème avec une administration, une entreprise, une association, une réaction raisonnable est certes de vouloir s’adresser à un responsable et, dans les cas où l’on ne connaît pas son titre, de faire usage du terme générique : directeur.
A ce mot, sont en effet associés un certain prestige, une certaine distance, en tous les cas la capacité de prendre les décisions qui s’imposent… C’est du ressort du directeur.
Ne soyons pas aveugles : la création des EPSF va revenir par la petite porte. Mais cette fois nous en serons certainement exclus par la grâce des syndicalistes imbéciles de FO, de SUD et du SNU. Vous espériez au moins un début de création d'établissements du primaire ? Prout prout. Vous travaillez pour la gloire, très chers collègues. Vous êtes les cadres les plus mal payés de l'OCDE, vous bossez comme des malades sans contrepartie ni estime de votre hiérarchie, vous faites deux métiers en même temps, mais il faut que vous vous fassiez une raison: les français s'en balancent, vos parents d'élèves s'en foutent, les syndicats "de gôche" se délectent de votre souffrance, votre ministre n'en a rien à carrer, votre hiérarchie s'en tamponne le coquillard, et le pire ce sont quelques connards d'adjoints qui se satisfont de vos emmerdements et se balancent de votre sort avec une régularité de métronome (vous pouvez allez faire un tour sur
https://forums-enseignants-du-primaire.com/ pour lire les saloperies que certains sont capables d'écrire à notre sujet, c'est édifiant quant à la stupidité de certains enseignants et surtout la haine qu'ils ressentent à notre égard). Alors, tout ça pour ça? Oui messeigneurs, pour les Directeurs d'école peau de zébie.
Que dit Gandalf déjà, au pont de Khazad-Dûm ? Ah oui : "Fuyez, pauvres fous !"