Ce texte a... sept ans. Je l'ai écrit en septembre 2012. Il est d'une cruelle actualité, hélas. Je vous le livre in extenso, je n'ai rien retranché. Et j'en ai marre d'avoir raison...
Si le titre de ce billet ressemble à celui d'une fable, ce bon M. de la Fontaine n'a hélas rien à y voir.
Les directeurs d'école râlent depuis au moins trois lustres, parce que leur mission est devenue impossible à remplir de façon satisfaisante. Pourtant ils continuent vaille que vaille à l'accomplir, avec abnégation, en s'occupant prioritairement de la "petite gestion d'école", soit tous ces actes quotidiens qui permettent de regrouper familles et enseignants autour de l'éducation des enfants.
Rendons à César ce qui est à César. C'est grâce à l'action du GDID qu'aujourd'hui personne n'ignore à quel point la fonction de direction va mal. Les mots "directeur d'école" et "statut" reviennent avec régularité dans la plupart des revendications syndicales et des discours sur l'école, sauf peut-être pour une centrale syndicale particulière -qui éventuellement commence un léger aggiornamento- et dans les médias qui continuent à nous ignorer superbement. Il faut dire que pour ces derniers seule compte la nouvelle quotidienne et le "scoop" -suicide d'un directeur, arrestation d'un pédophile présumé, etc- au détriment évidemment du fond du problème. Nous sommes une civilisation du zapping et de l'immédiat, il faut aller vite, ce dont l'école elle ne peut se contenter, qui doit travailler sur la durée et la qualité.
Le gouvernement présent est devant un choix difficile, je l'admets. Même s'il évite soigneusement d'évoquer le problème, il sait pertinemment que la mission de direction d'école est le centre névralgique du fonctionnement de l'école primaire. Face à un problème, il existe deux solutions: le résoudre, ou le contourner.
Résoudre le problème de la direction d'école primaire coûte de l'argent, ou du moins ces gens-là le croient-ils, car ils n'ont pas intégré l'idée que l'éducation est un investissement à long terme, dont on sait pourtant l'importance: l'investissement dans l'éducation augmente les taux de rendement et donc la richesse d'une nation, c'est un loi bien connue en Sciences économiques. Non, le problème majeur du système éducatif français n'est pas son coût réel, faible en pourcentage du PIB si on le compare à d'autres pays que pourtant on nous donne constamment en exemple, mais son excessive centralisation et son administration pléthorique.
Décentraliser l'éducation nationale demande donc de s'appuyer sur les acteurs locaux de l'école, et prioritairement sur ceux dont l'action est incontestée par les élus municipaux, c'est à dire les directeurs d'école, et de démanteler des étages intermédiaires qui n'ont fait en quelques décennies qu'enfler le dinosaure qu'est devenue l'éducation nationale. Donner un statut de chef d'établissement primaire aux directeurs d'école permettrait de se passer des Inspecteurs de l’Éducation Nationale (IEN) et des Directeurs Académiques des Services (DASEN), au profit d'un rapport direct entre les rectorats et les écoles. Évidemment, cela supposerait de supprimer aussi tous les services liés à ces deux étages administratifs, qui engluent l'école, ralentissent tout de façon stupéfiante et diminuent l'efficacité générale du système, chaque fonctionnaire intermédiaire devant justifier sa propre existence en inventant des circonvolutions administratives inutiles qui évoquent le Principe de Peter.
Malheureusement, les gouvernements qui se succèdent depuis trente ans dans notre pays -et je ne donne cette durée que parce que c'est aussi celle de ma présence dans le métier- ont une trouille bleue des fonctionnaires de l'éducation nationale. Il faut dire que la bête, si elle fait piètre figure, reste impressionnante ne serait-ce que par ses dimensions, et que son cuir pourtant fin est épaissi de nombreuses couches de graisse. Alors, pour ne fâcher personne on n'enlève rien, on ne coupe rien, on ne supprime rien, on ne dégonfle rien... L'état jacobin préfère rester centralisé et tenir à sa merci une armée de fonctionnaires d'opérette, quitte à faire crever l'animal sous son propre poids. Pour les politiques il est vain d'imaginer que l'on pourrait supprimer tous les superfétatoires "bureliers" -comme disait Zézette- et éliminer tous les intermédiaires qui comme dans le commerce font gonfler la facture.
Reste donc la possibilité de contourner le problème, et voilà bien ce qui me soucie, car le présent gouvernement semble emprunter cette voie dangereuse qui ne résoudra rien, mais plutôt certainement assénera à l'école primaire publique son coup de grâce.
Les directeurs d'école se plaignent de la charge administrative qui alourdit leur travail quotidien? Il suffit de les en délivrer, et à ce titre les discours de M. Peillon, ministre de l’Éducation Nationale, en disent long. M. Peillon n'évoque JAMAIS les directeurs d'école, en revanche il ne manque pas une occasion de vanter "l'école du socle" ou les principaux de collège, et de louanger les rapports primaire/collège. L'école du socle, sortie de l'esprit torturé d'un haut fonctionnaire, c'est l'idée qu'il soit absolument nécessaire de faire du primaire et du collège une seule entité. Le socle de quoi? Aucune idée, ce n'est qu'un mot. La France politique crève sous les mots. Citons quelques extraits d'un très récent entretien avec le ministre:
Dans un collège de Trappes, où j'étais avec le Président de la République, nous avons vu travailler ensemble professeurs du secondaire et professeurs des écoles. Les professeurs des écoles vont dans le collège et les professeurs du collège vont dans les écoles. Ils construisent des projets communs.
(...)
Je souhaite donc soutenir les initiatives de terrain, aider les professeurs à mutualiser leurs pratiques, à bousculer les cloisons entre disciplines, entre corps, entre école et collège. Il faut leur donner les moyens, au-delà des injonctions, de travailler ensemble, de renforcer les liens entre eux, de donner une consistance aux équipes éducative. Tout cela est à construire mais si nous arrivons à avancer dans cette direction, nous aurons fait quelque chose de très utile au pays.
Ite, missa est. La messe est dite, braves gens, vous savez ce qui attend l'école primaire. Cette idée absurde va compliquer encore un peu plus la machine, qui ne tardera pas à gripper complètement. Lorsque les principaux de collège auront pris en charge la partie administrative de la gestion de l'école primaire, on va bien rigoler. Et cela n'allègera que très peu la charge de travail des directeurs d'école, auxquels il restera bien entendu leur classe, et toute la "petite gestion" quotidienne qui fait le principal de la mission. Il nous restera aussi les engueulades et les coups quand il faudra expliquer aux parents qu'ils doivent désormais contacter le collège du secteur pour avoir un certificat de scolarité, ou pour gérer un accident, ou... ou... j'en pleure d'avance. Alors qu'on chante partout qu'on veut investir massivement sur le primaire, l’assujettir au collège qui est depuis 1975 le maillon le plus faible de la chaîne ma parait si absurde que je demande quand même qui a bien pu avoir cette idée suicidaire. Je suppose que M. Peillon nous accordera l'extrême-onction, et que le gouvernement chantera un beau De profundis sous la direction chorale de M. le Président de la République.
J'évoque pour mémoire la seconde façon de détourner le problème de la direction d'école, qui consisterait à donner aux IEN la gestion administrative des écoles. Sachant que la plupart des IEN furent des enseignants incompétents qui n'eurent comme choix que de passer un concours administratif pour échapper aux tortures enfantines, cela pourrait promettre une belle rigolade, avant un effondrement massif ou une révolte gratinée devant les excès d'autorité dont ne tarderaient pas à faire preuve tous ces frustrés de pouvoir qui n'aiment que se faire lécher les bottes par les fonctionnaires de terrain.
Bref, si les directeurs d'école de ce pays ne se réveillent pas, si dans chaque réunion ou chaque information syndicale le mot n'est pas passé, si massivement les directeurs d'école ne hurlent pas qu'il leur faut un statut, et que rien d'autre ne passera par eux, alors demain le réveil sera difficile. Vous ne viendrez pas vous plaindre, chers collègues, car vous ne pourrez pas dire que vous n'aviez pas été prévenus.
Adhérez donc au GDID, tiens. Il faut nous regrouper pour faire entendre notre voix. Ou si vous ne le souhaitez pas, faites-vous entendre dans toutes les réunions, syndicales ou autres, que personne n'ignore ce qui nous pend au nez. C'est l'école de France qui crève.
(Pascal Oudot, - Septembre 2012)
Les directeurs d'école râlent depuis au moins trois lustres, parce que leur mission est devenue impossible à remplir de façon satisfaisante. Pourtant ils continuent vaille que vaille à l'accomplir, avec abnégation, en s'occupant prioritairement de la "petite gestion d'école", soit tous ces actes quotidiens qui permettent de regrouper familles et enseignants autour de l'éducation des enfants.
Rendons à César ce qui est à César. C'est grâce à l'action du GDID qu'aujourd'hui personne n'ignore à quel point la fonction de direction va mal. Les mots "directeur d'école" et "statut" reviennent avec régularité dans la plupart des revendications syndicales et des discours sur l'école, sauf peut-être pour une centrale syndicale particulière -qui éventuellement commence un léger aggiornamento- et dans les médias qui continuent à nous ignorer superbement. Il faut dire que pour ces derniers seule compte la nouvelle quotidienne et le "scoop" -suicide d'un directeur, arrestation d'un pédophile présumé, etc- au détriment évidemment du fond du problème. Nous sommes une civilisation du zapping et de l'immédiat, il faut aller vite, ce dont l'école elle ne peut se contenter, qui doit travailler sur la durée et la qualité.
Le gouvernement présent est devant un choix difficile, je l'admets. Même s'il évite soigneusement d'évoquer le problème, il sait pertinemment que la mission de direction d'école est le centre névralgique du fonctionnement de l'école primaire. Face à un problème, il existe deux solutions: le résoudre, ou le contourner.
Résoudre le problème de la direction d'école primaire coûte de l'argent, ou du moins ces gens-là le croient-ils, car ils n'ont pas intégré l'idée que l'éducation est un investissement à long terme, dont on sait pourtant l'importance: l'investissement dans l'éducation augmente les taux de rendement et donc la richesse d'une nation, c'est un loi bien connue en Sciences économiques. Non, le problème majeur du système éducatif français n'est pas son coût réel, faible en pourcentage du PIB si on le compare à d'autres pays que pourtant on nous donne constamment en exemple, mais son excessive centralisation et son administration pléthorique.
Décentraliser l'éducation nationale demande donc de s'appuyer sur les acteurs locaux de l'école, et prioritairement sur ceux dont l'action est incontestée par les élus municipaux, c'est à dire les directeurs d'école, et de démanteler des étages intermédiaires qui n'ont fait en quelques décennies qu'enfler le dinosaure qu'est devenue l'éducation nationale. Donner un statut de chef d'établissement primaire aux directeurs d'école permettrait de se passer des Inspecteurs de l’Éducation Nationale (IEN) et des Directeurs Académiques des Services (DASEN), au profit d'un rapport direct entre les rectorats et les écoles. Évidemment, cela supposerait de supprimer aussi tous les services liés à ces deux étages administratifs, qui engluent l'école, ralentissent tout de façon stupéfiante et diminuent l'efficacité générale du système, chaque fonctionnaire intermédiaire devant justifier sa propre existence en inventant des circonvolutions administratives inutiles qui évoquent le Principe de Peter.
Malheureusement, les gouvernements qui se succèdent depuis trente ans dans notre pays -et je ne donne cette durée que parce que c'est aussi celle de ma présence dans le métier- ont une trouille bleue des fonctionnaires de l'éducation nationale. Il faut dire que la bête, si elle fait piètre figure, reste impressionnante ne serait-ce que par ses dimensions, et que son cuir pourtant fin est épaissi de nombreuses couches de graisse. Alors, pour ne fâcher personne on n'enlève rien, on ne coupe rien, on ne supprime rien, on ne dégonfle rien... L'état jacobin préfère rester centralisé et tenir à sa merci une armée de fonctionnaires d'opérette, quitte à faire crever l'animal sous son propre poids. Pour les politiques il est vain d'imaginer que l'on pourrait supprimer tous les superfétatoires "bureliers" -comme disait Zézette- et éliminer tous les intermédiaires qui comme dans le commerce font gonfler la facture.
Reste donc la possibilité de contourner le problème, et voilà bien ce qui me soucie, car le présent gouvernement semble emprunter cette voie dangereuse qui ne résoudra rien, mais plutôt certainement assénera à l'école primaire publique son coup de grâce.
Les directeurs d'école se plaignent de la charge administrative qui alourdit leur travail quotidien? Il suffit de les en délivrer, et à ce titre les discours de M. Peillon, ministre de l’Éducation Nationale, en disent long. M. Peillon n'évoque JAMAIS les directeurs d'école, en revanche il ne manque pas une occasion de vanter "l'école du socle" ou les principaux de collège, et de louanger les rapports primaire/collège. L'école du socle, sortie de l'esprit torturé d'un haut fonctionnaire, c'est l'idée qu'il soit absolument nécessaire de faire du primaire et du collège une seule entité. Le socle de quoi? Aucune idée, ce n'est qu'un mot. La France politique crève sous les mots. Citons quelques extraits d'un très récent entretien avec le ministre:
Dans un collège de Trappes, où j'étais avec le Président de la République, nous avons vu travailler ensemble professeurs du secondaire et professeurs des écoles. Les professeurs des écoles vont dans le collège et les professeurs du collège vont dans les écoles. Ils construisent des projets communs.
(...)
Je souhaite donc soutenir les initiatives de terrain, aider les professeurs à mutualiser leurs pratiques, à bousculer les cloisons entre disciplines, entre corps, entre école et collège. Il faut leur donner les moyens, au-delà des injonctions, de travailler ensemble, de renforcer les liens entre eux, de donner une consistance aux équipes éducative. Tout cela est à construire mais si nous arrivons à avancer dans cette direction, nous aurons fait quelque chose de très utile au pays.
Ite, missa est. La messe est dite, braves gens, vous savez ce qui attend l'école primaire. Cette idée absurde va compliquer encore un peu plus la machine, qui ne tardera pas à gripper complètement. Lorsque les principaux de collège auront pris en charge la partie administrative de la gestion de l'école primaire, on va bien rigoler. Et cela n'allègera que très peu la charge de travail des directeurs d'école, auxquels il restera bien entendu leur classe, et toute la "petite gestion" quotidienne qui fait le principal de la mission. Il nous restera aussi les engueulades et les coups quand il faudra expliquer aux parents qu'ils doivent désormais contacter le collège du secteur pour avoir un certificat de scolarité, ou pour gérer un accident, ou... ou... j'en pleure d'avance. Alors qu'on chante partout qu'on veut investir massivement sur le primaire, l’assujettir au collège qui est depuis 1975 le maillon le plus faible de la chaîne ma parait si absurde que je demande quand même qui a bien pu avoir cette idée suicidaire. Je suppose que M. Peillon nous accordera l'extrême-onction, et que le gouvernement chantera un beau De profundis sous la direction chorale de M. le Président de la République.
J'évoque pour mémoire la seconde façon de détourner le problème de la direction d'école, qui consisterait à donner aux IEN la gestion administrative des écoles. Sachant que la plupart des IEN furent des enseignants incompétents qui n'eurent comme choix que de passer un concours administratif pour échapper aux tortures enfantines, cela pourrait promettre une belle rigolade, avant un effondrement massif ou une révolte gratinée devant les excès d'autorité dont ne tarderaient pas à faire preuve tous ces frustrés de pouvoir qui n'aiment que se faire lécher les bottes par les fonctionnaires de terrain.
Bref, si les directeurs d'école de ce pays ne se réveillent pas, si dans chaque réunion ou chaque information syndicale le mot n'est pas passé, si massivement les directeurs d'école ne hurlent pas qu'il leur faut un statut, et que rien d'autre ne passera par eux, alors demain le réveil sera difficile. Vous ne viendrez pas vous plaindre, chers collègues, car vous ne pourrez pas dire que vous n'aviez pas été prévenus.
Adhérez donc au GDID, tiens. Il faut nous regrouper pour faire entendre notre voix. Ou si vous ne le souhaitez pas, faites-vous entendre dans toutes les réunions, syndicales ou autres, que personne n'ignore ce qui nous pend au nez. C'est l'école de France qui crève.
(Pascal Oudot, - Septembre 2012)
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