Les actuels soubresauts des enseignants face aux maladresses gouvernementales sont symptomatiques d'une maladie plus grave. Soyons clairs d'emblée : si des inquiétudes profondes se font jour c'est bien parce que le système éducatif français est vieux, malade et fatigué.
Vieillesse
Notre Education nationale est une vieille dame, elle a 150 ans et elle est percluse de rhumatisme. Si de nombreuses "réformes" ont émaillé son histoire, personne n'a jamais changé le fond de son fonctionnement soit un système centralisé à l'extrême dans lequel la prétendue "autonomie pédagogique" des enseignants est au mieux une illusion, au pire une fumisterie. Ce qui fut nécessaire pour la créer sur tout le territoire nationale au XIXème siècle est devenu au fil des décennies une masse importable de scléroses. L'organisation est nationale et extrêmement centralisée, les professeurs sont des fonctionnaires d'Etat avec une hiérarchie pyramidale pléthorique dont très rapidement on perçoit en grimpant les degrés la totale incompétence dans le domaine de l'éducation, personne n'a voix au chapitre sinon des hauts fonctionnaires qui ne connaissent rien aux besoins des élèves. des écoles, des enseignants ou des territoires. Certes donner un cadre uniforme à l'école fut nécessaire dans une France rurale et dispersée qu'on ne pouvait parcourir qu'avec quelques difficultés...
"Là-bas 30 sabots allaient me saluer par décharge d'artillerie." Léonce Bourliaguet fut Instituteur puis directeur d'école, et en 1929 devint le plus jeune inspecteur de France. Il écrivit un petit livre qui enchanta mon enfance, "Ce beau temps-là", roman emprunt de nostalgie qui raconte dans quelques chapitres ce qu'était l'école française dans les années d'entre deux-guerres, quand un inspecteur se déplaçait en train à vapeur pour l'inspection annuelle de ses écoles.
C'est beau, mais c'est fini. Depuis longtemps. La communication est facile, le transport efficace et rapide, la société et la population ont changé comme leurs besoins. Une centralisation si excessive du système, une main-mise aussi violente et déterminée sur les moyens, les techniques et les objectifs d'enseignement, ne sont plus de mise aujourd'hui. Pire, le système est devenu pervers qui entraîne des effets inverses à ceux recherchés, et fait de l'école française aujourd'hui la moins égalitaire de tous les pays développés, un comble dans un pays qui se réclame de ses propres "lumières" !
Maladie
L'école est d'abord malade aujourd'hui de ses propres infirmités structurelles. Mais que de mauvais traitements elle subit ! Chaque gouvernement, chaque ministre, tente de lui administrer des médicaments pourtant déjà testés et qui n'ont jamais fonctionné. On seringue, on ampute, on opère, sans discernement ni surtout demander l'avis de la malade. Un aréopage de hauts fonctionnaires convaincus de leur propre compétence lui fait subir lavements et régimes draconiens et s'en auto-satisfait avant de disparaître.
Les territoires évidemment ne sont jamais consultés. Les conseilleurs ne sont jamais les payeurs, et personne ne se préoccupe de savoir si la commune a seulement les moyens des ambitions de l'école. Pourtant elle connait bien sa population, savoir qu'elle partage avec le Directeur et les enseignants, mais personne ne lui demande si telle mesure lui est adaptée ou si d'autres nécessités ne seraient pas prioritaires. Certes non, la pyramide institutionnelle de l'Education reste "nationale", et qui aurait l'outrecuidance de la solliciter ? Car la malade et son entourage immédiat ne sont pas sensés y comprendre grand chose, contrairement au ministère qui la soigne : "Vous êtes un penseur, vous, docteur Knock, et les matérialistes auront beau soutenir le contraire, la pensée mène le monde."
Peut-on continuer à penser, comme certainement quelques syndicats sclérosés complices de ce système si centralisé, que les attendus actuels de l'école sont pertinents ? Peut-on continuer à penser que les méthodes d'enseignement sont efficaces ? Peut-on continuer à penser que les besoins sont uniformes ? J'ai déjà cité à plusieurs reprises un récent rapport du Sénat qui n'exprime pas autre chose, dénonçant une fuite des classes moyennes vers les métropoles par défaut d'une école digne et correctement équipée. Mais l'Etat depuis plusieurs décennies méprise les territoires et néglige ses revendications qui ne peuvent pas être similaires d'un lieu à l'autre : telle commune va réclamer à cor et à cri de maintenir son école certes isolée mais bien équipée et fréquentée avec bonheur par des élèves performants et des familles heureuses d'une telle opportunité, une autre au contraire va chercher à regrouper synergies et moyens dans un pôle éducatif local qui offrira une meilleure structure équipée au mieux, au grand bénéfice des élèves encore une fois. Les besoins exprimés sont différents, les solutions sont locales, les territoires ont le droit de choisir la façon dont ils veulent être traités, avec des Directeurs et des enseignants autonomes dans leurs choix d'équipe impliqués dans des projets éducatifs spécifiques adaptés aux nécessités locales. Contrairement à ce que serinent encore une fois quelques syndicats aveugles, il ne peut pas y avoir d'équité dans l'uniformité.
Fatigue
L'école est fatiguée. Si fatiguée qu'elle n'a plus vraiment la force de se révolter. Elle persiste à vouloir faire son travail du mieux qu'elle peut, mais elle peut peu hélas désormais. On a beau jeu de déplorer ses résultats médiocres lorsqu'on ne lui donne pas les moyens de son action.
Depuis 1996 la dépense intérieure d’éducation rapportée à la richesse de notre pays (PIB) a chuté de 7,7 % à 6,7 %. C'est épouvantable, et c'est le fruit de 25 années de mépris. Plus de deux décennies à se faire agonir d'insultes, à être traité de "feignants", de "nantis" et de profiteurs toujours en vacances. En se gardant bien évidemment de rappeler que les dépenses d'éducation sont des dépenses d'investissement à long terme, car la richesse d'une nation c'est son travail, et aujourd'hui seule quasiment son éducation peut apporter à une femme ou à un homme les armes intellectuelles nécessaires à sa survie dans un monde devenu sélectif et cruel.
Les raisons de cette campagne d'intoxication me restent obscures. Mais le prix que la communauté nationale paye aujourd'hui est très lourd. Si l’on consacrait la même part de PIB à l’éducation qu’en 1996, notre système d’enseignement disposerait de 23 milliards d’euros de plus. Largement de quoi mieux rémunérer les enseignants et résoudre la grave question des retraites, comme investir dans les écoles qui en ont besoin les subsides qui leur sont nécessaires.
Car la paupérisation des enseignants - particulièrement en primaire - n'est pas une image, comme n'est pas non plus celle de l'école malgré les constants efforts budgétaires des communes quand elles le peuvent. Débuter avec un maigre traitement après cinq années d'étude et souvent après avoir travaillé ailleurs n'est pas motivant. Comme n'est pas motivant non plus le fait de ne plus avoir de perspectives de carrière avec l'instauration de quelques malheureux "rendez-vous de carrière", ou l'absence frappante de tout ce qui est pourtant la norme dans le monde du travail : formation continue, médecine du travail, comité d'entreprise... Quand on y réfléchit un peu, c'est ahurissant ! Mais voilà bien le fruit d'un stupéfiant abandon. Au bénéfice de qui ? Au bénéfice de quoi ?
On ne peut plus désormais continuer à faire des économies sur notre système éducatif. Mais cela signifie aussi qu'il est temps que notre vieille dame prenne sa retraite. Une petite jeune doit la remplacer, bourrée de force, d'énergie et de volonté. Quelques cosmétiques ne suffiront pas, l'école doit être changée - totalement - dans les années qui viennent, et c'est aujourd'hui qu'il faut commencer. Il faut se poser la question de ses attendus : que veut-on que soit et que fasse l'école dans la décennie 2020, et pourquoi ? Il faut se poser la question de ses moyens : quels seront dans la décennie qui vient les besoins budgétaires de l'école, auprès de qui les trouver - Etat, communes, régions... - et comment les répartir avec équité ? Il faut se poser la question de sa gouvernance, dont la centralisation excessive et perverse va à l'encontre de l'égalité territoriale et de l'efficacité de son action. Il faut se poser la question de son autonomie locale, de son fonctionnement au mieux des besoins des élèves et donc de leur réussite. Quelle doit-être cette réussite des élèves, comment la quantifier, avec quels outils nationaux (car les examens et concours eux le sont) ? Qui seront les enseignants des décennies à venir ? Comment piloter leur action sans forcément la contraindre ni gêner les projets locaux ? Quel y sera le rôle du Directeur d'école éventuellement devenu chef d'établissement ? Quel sera le rôle de l'Inspecteur ? Comment finalement résoudre dès maintenant la grave question des maux d'un vieux système malade et fatigué ?
Je vous laisse cogiter là-dessus entre deux chocolats - soyez raisonnables ! - et deux bouteilles de champagne. Je vous souhaite, en mon nom comme en celui du GDiD, de joyeuses fêtes de Noël et de fin d'année.
C'est beau, mais c'est fini. Depuis longtemps. La communication est facile, le transport efficace et rapide, la société et la population ont changé comme leurs besoins. Une centralisation si excessive du système, une main-mise aussi violente et déterminée sur les moyens, les techniques et les objectifs d'enseignement, ne sont plus de mise aujourd'hui. Pire, le système est devenu pervers qui entraîne des effets inverses à ceux recherchés, et fait de l'école française aujourd'hui la moins égalitaire de tous les pays développés, un comble dans un pays qui se réclame de ses propres "lumières" !
Maladie
L'école est d'abord malade aujourd'hui de ses propres infirmités structurelles. Mais que de mauvais traitements elle subit ! Chaque gouvernement, chaque ministre, tente de lui administrer des médicaments pourtant déjà testés et qui n'ont jamais fonctionné. On seringue, on ampute, on opère, sans discernement ni surtout demander l'avis de la malade. Un aréopage de hauts fonctionnaires convaincus de leur propre compétence lui fait subir lavements et régimes draconiens et s'en auto-satisfait avant de disparaître.
Les territoires évidemment ne sont jamais consultés. Les conseilleurs ne sont jamais les payeurs, et personne ne se préoccupe de savoir si la commune a seulement les moyens des ambitions de l'école. Pourtant elle connait bien sa population, savoir qu'elle partage avec le Directeur et les enseignants, mais personne ne lui demande si telle mesure lui est adaptée ou si d'autres nécessités ne seraient pas prioritaires. Certes non, la pyramide institutionnelle de l'Education reste "nationale", et qui aurait l'outrecuidance de la solliciter ? Car la malade et son entourage immédiat ne sont pas sensés y comprendre grand chose, contrairement au ministère qui la soigne : "Vous êtes un penseur, vous, docteur Knock, et les matérialistes auront beau soutenir le contraire, la pensée mène le monde."
Peut-on continuer à penser, comme certainement quelques syndicats sclérosés complices de ce système si centralisé, que les attendus actuels de l'école sont pertinents ? Peut-on continuer à penser que les méthodes d'enseignement sont efficaces ? Peut-on continuer à penser que les besoins sont uniformes ? J'ai déjà cité à plusieurs reprises un récent rapport du Sénat qui n'exprime pas autre chose, dénonçant une fuite des classes moyennes vers les métropoles par défaut d'une école digne et correctement équipée. Mais l'Etat depuis plusieurs décennies méprise les territoires et néglige ses revendications qui ne peuvent pas être similaires d'un lieu à l'autre : telle commune va réclamer à cor et à cri de maintenir son école certes isolée mais bien équipée et fréquentée avec bonheur par des élèves performants et des familles heureuses d'une telle opportunité, une autre au contraire va chercher à regrouper synergies et moyens dans un pôle éducatif local qui offrira une meilleure structure équipée au mieux, au grand bénéfice des élèves encore une fois. Les besoins exprimés sont différents, les solutions sont locales, les territoires ont le droit de choisir la façon dont ils veulent être traités, avec des Directeurs et des enseignants autonomes dans leurs choix d'équipe impliqués dans des projets éducatifs spécifiques adaptés aux nécessités locales. Contrairement à ce que serinent encore une fois quelques syndicats aveugles, il ne peut pas y avoir d'équité dans l'uniformité.
Fatigue
L'école est fatiguée. Si fatiguée qu'elle n'a plus vraiment la force de se révolter. Elle persiste à vouloir faire son travail du mieux qu'elle peut, mais elle peut peu hélas désormais. On a beau jeu de déplorer ses résultats médiocres lorsqu'on ne lui donne pas les moyens de son action.
Depuis 1996 la dépense intérieure d’éducation rapportée à la richesse de notre pays (PIB) a chuté de 7,7 % à 6,7 %. C'est épouvantable, et c'est le fruit de 25 années de mépris. Plus de deux décennies à se faire agonir d'insultes, à être traité de "feignants", de "nantis" et de profiteurs toujours en vacances. En se gardant bien évidemment de rappeler que les dépenses d'éducation sont des dépenses d'investissement à long terme, car la richesse d'une nation c'est son travail, et aujourd'hui seule quasiment son éducation peut apporter à une femme ou à un homme les armes intellectuelles nécessaires à sa survie dans un monde devenu sélectif et cruel.
Les raisons de cette campagne d'intoxication me restent obscures. Mais le prix que la communauté nationale paye aujourd'hui est très lourd. Si l’on consacrait la même part de PIB à l’éducation qu’en 1996, notre système d’enseignement disposerait de 23 milliards d’euros de plus. Largement de quoi mieux rémunérer les enseignants et résoudre la grave question des retraites, comme investir dans les écoles qui en ont besoin les subsides qui leur sont nécessaires.
Car la paupérisation des enseignants - particulièrement en primaire - n'est pas une image, comme n'est pas non plus celle de l'école malgré les constants efforts budgétaires des communes quand elles le peuvent. Débuter avec un maigre traitement après cinq années d'étude et souvent après avoir travaillé ailleurs n'est pas motivant. Comme n'est pas motivant non plus le fait de ne plus avoir de perspectives de carrière avec l'instauration de quelques malheureux "rendez-vous de carrière", ou l'absence frappante de tout ce qui est pourtant la norme dans le monde du travail : formation continue, médecine du travail, comité d'entreprise... Quand on y réfléchit un peu, c'est ahurissant ! Mais voilà bien le fruit d'un stupéfiant abandon. Au bénéfice de qui ? Au bénéfice de quoi ?
On ne peut plus désormais continuer à faire des économies sur notre système éducatif. Mais cela signifie aussi qu'il est temps que notre vieille dame prenne sa retraite. Une petite jeune doit la remplacer, bourrée de force, d'énergie et de volonté. Quelques cosmétiques ne suffiront pas, l'école doit être changée - totalement - dans les années qui viennent, et c'est aujourd'hui qu'il faut commencer. Il faut se poser la question de ses attendus : que veut-on que soit et que fasse l'école dans la décennie 2020, et pourquoi ? Il faut se poser la question de ses moyens : quels seront dans la décennie qui vient les besoins budgétaires de l'école, auprès de qui les trouver - Etat, communes, régions... - et comment les répartir avec équité ? Il faut se poser la question de sa gouvernance, dont la centralisation excessive et perverse va à l'encontre de l'égalité territoriale et de l'efficacité de son action. Il faut se poser la question de son autonomie locale, de son fonctionnement au mieux des besoins des élèves et donc de leur réussite. Quelle doit-être cette réussite des élèves, comment la quantifier, avec quels outils nationaux (car les examens et concours eux le sont) ? Qui seront les enseignants des décennies à venir ? Comment piloter leur action sans forcément la contraindre ni gêner les projets locaux ? Quel y sera le rôle du Directeur d'école éventuellement devenu chef d'établissement ? Quel sera le rôle de l'Inspecteur ? Comment finalement résoudre dès maintenant la grave question des maux d'un vieux système malade et fatigué ?
Je vous laisse cogiter là-dessus entre deux chocolats - soyez raisonnables ! - et deux bouteilles de champagne. Je vous souhaite, en mon nom comme en celui du GDiD, de joyeuses fêtes de Noël et de fin d'année.