lundi 1 avril 2019

Pour vos Sénateurs...

Voici le texte que je viens d'envoyer aux Sénateurs et à la Sénatrice de mon département, en changeant le texte évidemment pour cette dernière.

Je vous suggère un copier-coller, les corrections éventuelles en relisant attentivement, et un envoi aux élus de votre secteur dont vous connaîtrez les coordonnées de courriel en cliquant ici.

"...

Pascal Oudot
adresse
Directeur d'école
membre du bureau du GDiD

Monsieur le Sénateur,

le texte de la "Loi pour l'école de la confiance" est aujourd'hui entre vos mains. Comme Directeur d'école du département dont êtes le représentant, ce texte m'interpelle à plusieurs niveaux par son cruel manque de clarté. Je pense que c'est au Sénat, dont les élus sont d'abord ceux des territoires, de tout faire pour donner à ce texte une réelle portée, d'abord quant à la gouvernance des écoles dont on sait depuis longtemps maintenant l'importance pour la réussite des élèves. Car il s'agit bien là de notre objectif à tous, faire réussir les enfants de la Nation ne peut laisser indifférent personne et surtout pas ceux qui comme moi sont quotidiennement sur le terrain, ou nos élus locaux qui s'échinent à donner à l'école le maximum qu'ils peuvent. Mais on ne peut se permettre d’attendre des décrets d'application qui sont pour l'instant dans les limbes alors que plusieurs points peuvent voire même doivent être inscrits dans la loi.

De nombreuses questions se posent. D'abord pour ce qui concerne la création des "établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux" (ou EPLSF). Je tiens à vous préciser, Monsieur le Sénateur, que je considère ces établissements comme une chance supplémentaire pour nos élèves. Nos écoles sont souvent isolées et parfois sans trop de moyens, créer une synergie matérielle et pédagogique, des liens forts entre école et collège, m'apparait comme une opportunité supplémentaire que certains territoires sauront certainement exploiter. Pour autant ils ne peuvent être un modèle unique de fonctionnement de l'école primaire.

La création de ces établissements ne relève que d'un accord entre une ou plusieurs communes et l'Etat. Jamais il n'est question de seulement consulter la communauté éducative. Notre Histoire récente montre pourtant que ne pas demander son avis à la population ou au moins aux Conseils d'école n'est pas une bonne idée, et explique en grande partie la tonitruante faillite de la réforme des rythmes scolaires.

D'autre part, s'il est bien précisé que les "adjoints au chef d'établissement" seront issus du premier degré, rien n'est dit quant aux conditions de ces nominations. Diriger une école est un métier, une profession spécifique qui prend toute son ampleur avec l'expérience. Cela a bien été reconnu d'abord avec le référentiel-métier de décembre 2014, ensuite avec la "classe exceptionnelle" des accords PPCR, qui concerne en grande partie les Directrices et Directeurs d'école. Il me semble indispensable d'inscrire dans la loi que ces "adjoints" devront non seulement être issus du premier degré, ce qui est dans le texte, mais aussi et surtout qu'ils devront avoir été Directeurs d'école pendant x années (une forme de VAE donc), sinon certains de ces postes échoiront à des personnels qui ne connaissent rien à la mission et cela pourrait être catastrophique. Un métier aussi important ne s'improvise pas. Parallèlement, quel sera le statut de ces "adjoints" ? Le flou est ici total. Actuellement un "adjoint au chef d'établissement" est légalement un "personnel de direction", mais ce statut ne s'acquiert que par concours. Ren dans le texte ne précise ni les personnels concernés ni la forme de leur recrutement. C'est un comble quand on connait la précision générale du Code de l'éducation.

Enfin rien n'est écrit quant au pilotage quotidien des écoles. Pour une Directrice ou un Directeur d'école, le travail administratif est une chose. C'est lourd souvent, et dans le cadre d'un EPLSF s'en trouver libéré par un personnel de Direction qui en aura la responsabilité peut être une bonne idée. Mais le principal de notre charge de travail est souvent représenté par le contact avec les familles ou les élèves, qui tous ont besoin sur site d'une représentation symbolique de l'Etat et de l'autorité. Le titre même de "Directeur d'école" porte une charge historique forte et tutélaire. La Directrice ou le Directeur d'école est un interlocuteur indispensable au quotidien pour chacun. Or rien n'est inscrit dans le texte de loi quant à cette représentation de l'Etat sur chaque site concerné par un EPLSF. C'est d'ailleurs ce qui fait craindre à beaucoup la "disparition" des Directeurs d'école. Ce serait une erreur dramatique de ne pas prévoir dans chaque école un responsable reconnu au titre clair ("Directeur de site", "Directeur référent",...). Cela ne ferait qu'enliser encore un peu plus l'école dans les problèmes d'irrespect de l'institution et de violence qui depuis quelques années s'accentuent à un rythme exponentiel et contrarient la réussite de nos élèves comme la santé des personnels. Et puis quelle serait pour un tel responsable la reconnaissance officielle de son investissement, en temps ou en rémunération ? Quelle serait l'étendue de ses responsabilités ? Parce qu'il n'est pas question que ce Directeur référent ait le statut actuel d'un Directeur d'école, pour la simple raison légale que la responsabilité d'une école ne peut pas être partagée avec un "adjoint au chef d'établissement" qui dans le texte proposé "exerce (...) les compétences attribuées au directeur d’école".

Si mes propos précédents concernent les "établissements publics locaux des savoirs fondamentaux", il est une autre question qui avec le texte de loi reste sans réponse, c'est celle de la gouvernance des écoles qui ne seront pas concernées par la création d'éventuels EPLSF, c'est à dire la grande majorité. Aujourd'hui piloter une école est, je l'ai déjà écrit, un métier. Mais c'est surtout un métier d'expert qui requiert une présence et une disponibilité permanentes.

La création des EPLSF n'est pas une réponse au mal-être des Directrices et Directeurs d'école. C'est une anecdote, un moyen supplémentaire, un besoin peut-être. Mais qui ne résoudra aucunement le problème. La question est connue depuis plusieurs décennies, je peux au moins remonter jusqu'au projet de M. Monory en 1986 de créer des "maîtres-directeurs". Depuis cette époque, les rapports et autres études n'ont fait que souligner l'extraordinaire importance de la Direction d'école dans la réussite des élèves. Ces documents ne sont pas uniquement français, ils viennent des pays de l'OCDE les plus performants en ce domaine, de l'Union Européenne, de partout. Combien de représentants à la Chambre ou au Sénat depuis trente ans se sont escrimés à réclamer un statut pour les Directrices et Directeurs d'école ?

Bien entendu certains syndicats ne l'entendent pas de cette oreille. Si je m'abstrais de leur représentativité réelle, je constate un pouvoir de nuisance disproportionné, alors que plusieurs autres centrales syndicales sont prêtes à discuter des besoins de la Direction d'école dans notre pays, parfois même avec des projets. Je peux citer le SGEN-CFDT, le SE-UNSA, le SNE. Une association aussi, le GDiD qui regroupe plusieurs milliers de praticiens, apporte sinon des solutions du moins une idée forte de l'avenir du métier de Directeur d'école, ce métier ingrat qui n'attire plus aucun candidat alors qu'il est la base du succès scolaire de chacun des enfants de notre pays. Parce que le GDiD est conscient des enjeux budgétaires, il propose la création d'établissements du premier degré. Ces établissements regrouperaient selon les besoins des communes ou d'une intercommunalité les écoles d'un secteur bien défini, en faisant abstraction du collège. Ce serait une demande conjointe des territoires et des écoles concernées, dont la synergie pédagogique et financière permettrait de donner à chaque élève les moyens de sa réussite individuelle, avec un pilotage attaché aux besoins réels du terrain et des élèves. Le Directeur d’école deviendrait alors chef d’établissement. Encore resterait-il des écoles isolées, dont la charge d'investissement du responsable ne peut être passée sous silence. Les Directrices et Directeurs d'école concernés ne devront pas non plus rester ignorés.

Comme vous pouvez le constater, Monsieur le Sénateur, la "loi pour l'école de la confiance" pose plus de questions qu'elle n'en résout. Au-delà de son nom qui parait pour nombre d'enseignants comme une provocation inutile, elle ne dit rien quant à nos problèmes quotidiens. Certes le premier article souligne - une fois de plus - la nécessaire confiance qui doit s'installer entre l'école et les familles, mais ce vœu pieux ne s'accompagne d'aucune mesure concrète. Et puis vous ne devez pas oublier que 80% des Directeurs d'école de notre pays ont charge de classe, pour la plupart à 100% en plus de leur mission de Direction. C'est mon cas, Monsieur le Sénateur, j'ai ma classe à temps plein et je dois gérer mon école en même temps. Comment pourrais-je faire deux métiers aussi prégnants simultanément ?  Depuis quinze ans que je l'exerce sans soutien, je peux vous assurer que ce n'est que jongler constamment entre deux devoirs contraignants, constamment au détriment de l'un ou de l'autre. Est-ce cela que méritent nos enfants ?

Rien dans le texte de loi proposé n'est prévu pour résoudre le problème. Pourtant il n'est pas mineur. Je suis âgé, Monsieur le Sénateur, j'ai confiance dans le système démocratique de notre pays, j'ai confiance dans les contre-pouvoirs prévus par notre Constitution, je suis sûr que la question de la réussite des enfants de notre Nation ne peut pas vous laisser indifférent.  Mais je crois aussi du devoir de chaque citoyen d'informer ses représentants des problèmes que l'évolution de notre pays et de notre société pose constamment. Il est temps, Monsieur le Sénateur, de résoudre celui-ci.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Sénateur, l'expression de mes salutations citoyennes respectueuses.

Pascal Oudot
..."


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