Comment écrire quelque chose de sensé dans un moment aussi dramatique ? J'ai été sidéré par le massacre - car il s'agit pas d'autre chose - dont notre collègue Samuel Paty a été la victime.
J'ai été sidéré par la violence de l'acte. Comment aurais-je pu simplement imaginer qu'il soit possible, en France, devant un établissement d'enseignement, de pousser la férocité et s'acharner jusqu'à couper la tête d'un homme ? Il était enseignant, il a été immolé parce qu'il faisait son métier.
Je lis, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, des tentatives d'explication, ou une volonté de compréhension. Comme s'il pouvait y avoir un raison ou une justification quelconque à un tel geste. Mais il n'y en a pas, il ne peut pas y en avoir. Encore moins quand l'assaillant veut lui donner une motivation religieuse, car pour les trois grandes religions du "Livre" le décalogue porte depuis Moïse cette injonction qu'on ne peut altérer "Tu ne tueras point." Chercher une explication c'est rechercher une excuse.
J'ai été sidéré mais je n'ai pas été étonné. Cela fait de nombreuses années maintenant que les écoles se préparent contre une intrusion malveillante. Jusqu'à présent il était question d'actions collectives, moins d'actes individuels perpétrés avec des moyens de fortune comme ceux qu'on trouve dans une simple cuisine. Pour autant, Directrices ou Directeurs d'école comme enseignants sommes hélas habitués à nous prévenir d'agressions parfois quotidiennes, verbales ou physiques, qui sont devenues courantes et nous démontrent chaque jour à quel point nous sommes isolés. Qui d'entre nous désormais saura rester totalement serein en quittant son lieu d'enseignement ? Nous aurons tous dans un recoin de notre tête la désastreuse idée qu'aucun d'entre nous n'est à l'abri. Si l'objectif du terrorisme est bien d'insuffler une peur latente chez chacun, alors c'est une réussite.
Mais il nous faut lutter. Nous devons être courageux car il n'est pas question de céder, ne serait-ce que pour les innombrables chrétiens, juifs, musulmans, qui vivent en France paisiblement leur Foi qu'ils veulent compatibles avec la laïcité.
Je suis catholique, mais aussi fervent républicain, et depuis toujours un grand admirateur de la sagesse de nos lois laïques. N'importe quel croyant de n'importe quelle religion ne peut y voir que la simple application de ce qu'il considérera comme un don divin, celui du libre-arbitre. Le Coran lui-même l'exprime : « Pas de contrainte en religion ! (lâ ikrâh fî al-dîn) Le voie droite se distingue de l’erreur » (Coran 2,256). Nous avons en France depuis plus d'un siècle le droit imprescriptible de croire ou de ne pas croire, mais aussi le devoir d'appliquer les lois de la République. L'un ne va pas sans l'autre. Celui qui s'en éloigne ne peut recevoir aucune absolution de quelque sorte qu'elle soit pour un acte aussi abominable.
La peur ne peut pas, ne doit pas, nous faire abandonner notre mission. Certes enseigner est d'abord notre gagne-pain. Mais l'image des hussards noirs, célébrés autrefois par Péguy, n'était pas fausse. Nous restons des soldats de la République, des missionnaires laïcs qui œuvrons obstinément pour attirer les enfants vers la lumière du savoir et de l’esprit critique. N'oublions pas les propos tenus en 1903 par Ferdinand Buisson, co-prix Nobel de la Paix en 1927 et directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896: « Le premier devoir d’une République est de faire des républicains […]. Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit (...) et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui‑même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef quel qu’il soit, temporel ou spirituel. (…) Il s’agit rien de moins que de faire un esprit libre. Et si vous voulez faire un esprit libre, qui est ce qui doit s’en charger sinon un autre esprit libre? »
Sachons rester des esprits libres.
Pascal Oudot
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