dimanche 15 septembre 2019

Rentrée...

Pas de billet depuis juin dernier...

J'en avais fait un début juillet, mais quand je l'ai relu au début des vacances je l'ai trouvé aigri, méchant, bête, inutilement agressif. Je ne l'ai pas publié alors qu'il était prêt. Pour quoi faire ? Je ne suis pas là pour épancher mes désillusions personnelles ni ma fatigue, je suis là pour faire avancer les choses. Du moins je le crois, et ce quel que soit mon état d'esprit ou mon épuisement.

Mais je ne peux pas faire abstraction d'un fait : je suis en fin de carrière, en "classe exceptionnelle" - et pas au premier échelon nous sommes bien d'accord -, aujourd'hui il me reste la présente année à faire qui me gonfle profondément soit dit entre nous. Heureusement pour moi en maternelle j'ai droit aux câlins gratuits, un des rares avantages de ce niveau d'enseignement où on transforme des monstres égocentriques en élèves. Est-ce que mes élèves vont me manquer quand je serai retraité ? En maternelle les sourires sont généralement pleins, sincères, entiers... réels. Leur amour n'est pas feint. Pour autant il peut être étouffant. Existe-t-il encore des collègues d'élémentaire ou du secondaire qui croient que nous nous reposons à longueur de journée et qu'eux seuls travaillent ?

En maternelle comme ailleurs, l'obsession d'un enseignant, c'est la réussite de ses élèves. Et c'est encore plus vrai pour une Directrice ou un Directeur d'école. Point barre final stop terminaison slash.

Je suis donc entré "en vacance" sans remord, j'en avais cruellement besoin, vous verrez quand vous aurez plus de quarante ans de service dans les pattes ! J'ai vaqué. Je suis parti - un peu -, me suis reposé - beaucoup -, j'ai surtout éloigné de mes yeux et de mon esprit tout ce qui concernait de près ou de loin mon double métier. Dont vous, chers lecteurs, chers amis, chers collègues. Désolé. Cela m'a permis de m'y remettre fin août sans arrière-pensée ou doute ou crainte. Et puis vlan dans les dents, je reçois par courriel le premier écho de la Loi Machin-Truc-  qui porte le nom de couches pour adultes -, soit la nécessité de faire remplir aux parents de Petite Section un document long comme le bras pour que leur enfant qui s'endort à midi le nez dans son assiette puisse faire la sieste à la maison... A faire viser par l'IEN siouplé, qui n'a certainement que ça à faire.

Merci Monsieur le Ministre pour cette totale négation de la souplesse de fonctionnement qui a fait de l'école maternelle française un modèle admiré du monde entier. Merci Monsieur le Ministre pour donner aux Directrices et Directeurs d'école - et aux IEN - un travail supplémentaire parce que certainement nous n'avions rien de plus important à faire. Moi Monsieur le Ministre, j'ai certainement d'autres choses à proposer aux familles de mes élèves qu'une culture de la défiance et du doute.

Du coup, dans la foulée de la lecture de ce courriel, je me suis senti tellement exaspéré que je suis allé sur le site de l'ENSAP et que j'y ai fait ma demande de mise à la retraite. Je n'en peux plus de ce système ridicule qui ne s'enlise plus tant il creuse sa propre tombe. Je laisse la suite à plus jeune, plus dynamique, plus "plein d'idées" et plus "plein d'envies". Un truc marrant au passage, le site de l'ENSAP me donne à chaque visite le nombre de jours qui...



Je trouve ça très rigolo, merci à ceux qui ont pondu le script pour ce sympathique petit plus.

Puis-je écrire ce qui m'a quand même agacé avant les vacances ?

J'ai pu lire en juin dans certains journaux - que de gracieux commentateurs sur Facebook persistent à trouver pertinents - que les profs français ont le "bonnet d'âne" de l'incompétence à gérer une classe. Que voulez-vous répondre à de telles conneries ? Je lis de moins en moins de revues de presse, ça bouffe de l'énergie, ça énerve, ça ne sert à rien.

Il y a eu également une émission très consensuelle sur la 5. Je n'ai pas regardé le reportage, comme je l'ai écrit je ne supporte plus la vision journalistique de mon métier. D'autant que ma porte est largement ouverte à ceux qui veulent comprendre. Je suis tombé sur ce reportage par hasard en fin de soirée, et les trois minutes que j'ai pu contempler m'ont été insupportables. Certains fils de réseaux sociaux en ont écrit du bien. Aujourd'hui j'avoue que les pratiques m'intéressent moins que le fond, et en arrivant au bout les questions qui m'assaillent sont plutôt d'ordre existentielles : devons-nous préparer nos enfants à la jungle sociale qui les attend, ou devons-nous préparer des générations qui sauront la changer ? Je n'ai que des réponses hybrides, et je ne recevrai si je pose la question à autrui que des réponses consensuelles elles aussi.

Des consensus nous en avons deux aujourd'hui sur l'enseignement:

1) les profs sont malheureux, maltraités, mal payés. Ils sont aimés au fond, et ils aiment leur métier, mais bouh ouh ouh sont tristes d'être mal considérés et qu'on leur tape sur la gueule.

2) les profs sont des nantis qui n'en branlent pas une c'est pourquoi je vais mettre mes gosses en école privée puis en prépa, ce sont des salauds de profiteurs qui se gobergent aux frais du contribuable.

Consensus de droite ou consensus de gauche, consensus bien-pensant de quelque manière qu'on pense, les deux se rejoignent et m'exaspèrent. Le conformisme m'est insupportable, conformisme de groupe ou de communauté, de religion, de classe sociale, rien n'est pire.

Une société de moutons...


Mais voilà la rentrée "faite", ou presque. La première semaine est pour les Directrices et Directeurs d'école un marathon compliqué. Je ne comprends même pas comment nous arrivons au bout. Je pense aussi à mes jeunes collègues qui découvrent le truc certainement effarés par la charge de travail, entre la direction submergée par l'administration et les familles, et leurs élèves bien réels et bien vivants dont il leur faut bien s’occuper également.

Vous espériez un changement ? Moi aussi. Depuis vingt ans. Au GDiD nous nous arrachons les cheveux devant l'inertie du ministère. La faute à qui ? A certains syndicats évidemment et en premier lieu, ces syndicats d'extrême-gauche qui nient toute la singularité du métier de Directeur d'école, au nom d'une sacro-sainte égalité entre professeurs des écoles. Elle ne tient pas debout évidemment, je ne comprends pas pourquoi ces gens-là ne changent pas leur fusil d'épaule, sinon qu'ils restent arc-boutés sur des convictions d'un autre temps qui tiennent si peu la route qu'ils refusent même d'en discuter. C'est de la bêtise, pure, simple, sans équivoque. Un simple cheval de bataille pour enquiquiner le ministère, et laisser les personnels Directrices et Directeurs d'école dans la merde. FO, SUD, SNU, ils pourrissent sur pied et grand bien leur fasse de persister à refuser de voir notre souffrance.

Comment je fais, moi ? Je suis dans ma classe, avec mes 32 Grands qui "n'en veulent" - merci les Deschiens -, qui sont exigeants et que je VEUX aider à grandir, et puis par là-dessus je dois diriger une école maternelle ? Diriger une école à la rentrée c'est quelque chose, il faut le voir pour le croire ! J'ai même dû cette année faire à une maman un certificat pour justifier l'heure qu'elle avait demandée à son employeur pour accompagner la rentrée de son petit de trois ans... C'est quoi cette société de merde ? Le royaume du doute, de la défiance, du chacun pour soi ?

Bien entendu, tout doit être fait pour l'avant-veille, le fabuleux PPMS, l'inénarrable DUER, les exercices d'incendie et d'évacuation, la préparation de cette merde d'élections des représentants des parents d'élèves quand on est bien content d'avoir des candidats, des listes pour tout le monde à ne plus savoir qu'en faire et chacun veut son format particulier bien entendu tant c'est le foutoir chez lui, comme si tout recommençait à zéro au 1er septembre de chaque année. L'administration de l'Education nationale c'est le n'importe quoi joyeusement renouvelé chaque automne. Manquait plus que la visite des pompiers, et ça n'a pas loupé mais pour le coup je ne leur en veut pas parce qu'il font ça pour nous aider et qu'ils ne sont pas vraiment eux non plus bien lotis. Bravo à vous les pompiers, merci, et bon courage !

Mais concrètement j'ai 86 familles pour trois classes à accueillir avec le sourire, ceux-là sont bien réels et ce sont bien EUX qui m'importent. Le reste, hein...

A mon grand étonnement je me suis aperçu que lors de ma réunion de rentrée je faisais preuve d'un certain détachement et d'une grande sérénité. Je m'épate moi-même, mais on n'est jamais mieux servi... Je me parais assez efficace, et il me semble que pour cette dernière année de travail mes élèves et mes familles sont très sympas. Il faut écrire que j'ai eu mon lot d'emmerdeurs. Au point rappelez-vous de faire l'année dernière le premier burn-out de ma carrière. Mais dois-je rappeler aussi que RIEN n'existe dans l'Education nationale pour aménager la fin des longues carrières ? Je peux honnêtement remercier mon IEN qui elle en tient compte, même si je sais qu'en échange elle sait mon école gérée correctement et qu'elle m'en sait gré. Je n'envie pas son boulot. J'en suis même très loin. Et je ne sais pas comment elle tient le coup, à part qu'elle bosse comme une forcenée quasiment les deux mois d'été.

En cette rentrée les marronniers habituels ont amusé le populo, et l'ont bien entendu indigné sur les réseaux sociaux comme dans les médias tant moins on connait quelque chose plus on a envie de ramener sa fraise. J'ai lâché pas mal de trucs : j'ai rapidement supprimé mon compte Twitter - stupidité, haine... -, j'ai laissé tomber des fils Facebook sur lesquels s'exprimait surtout la bêtise des commentateurs. J'en regrette un, celui de Philippe Watrelot, dont le fil est pour moi l'exemple type de la revue de presse passionnante dévoyée par ceux qui la lisent. Tant pis. Je me sens bien mieux depuis. Si tu lis ces mots Philippe, tu comprends.

Septembre, pouf ! Mollement tombe le rapport OCDE (oui, un alexandrin). On y lit les mêmes choses que d'habitude, puisque rien n'a été fait depuis X années. Les enseignants français sont toujours dans la queue du peloton, ce que les médias traduisent par "c'est malheureux quand même" s'ils sont dans un bon jour (ou dans l'opposition), ou interprètent de travers s'ils n'ont même pas fait l'effort de le lire. Nous avons les "experts" et les journalistes que nous méritons, soit tous plus cons les uns que les autres. Il existe une excellente analyse par Lucien Marboeuf, que vous trouverez ici.

Dans toutes ces interventions, j'excepte celle de Natacha Polony. Elle en a dit et elle en a écrit des conneries sur notre métier. Mais maintenant elle est reconnue, elle n'a plus rien à prouver, et du coup elle peut désormais se permettre de dire vrai et de taper juste. Vous trouverez la vidéo là.

Maintenant le GDiD...

Nous sommes fatigués. Nous avons rencontré l'année dernière le ministère plusieurs fois, nous avons cumulé les courriers et les interventions, auprès du ministère ou des députés ou des sénateurs, nous n'avons pas arrêté, comme depuis vingt ans. Nous n'allons pas nous arrêter, mais c'est désespérant parfois. C'est VOUS, vous tous qui nous soutenez, qui croyez à un avenir meilleur pour les Directrices et Directeurs d'école, c'est vous qui nous poussez à continuer. C'est pour vous que nous allons persister. Vaille que vaille.

Alors pensez aussi à nous soutenir financièrement. Nous ne vous demandons que 20 €, mais ça paye les déplacements, les courriers, l'internet, le téléphone. Rien ne vous interdit de donner plus, rien ne vous y oblige non plus. Mais si vous nous lâchez, nous sommes foutus. C'est ici : http://gdid.education/index.php/adhesion/

Bon mois lourd et difficile de septembre. Je vous embrasse.

Aucun commentaire: