mercredi 17 octobre 2018

Sommes-nous des monstres ?

Déjà en temps normal les revendications du GDiD paraissent incongrues aux yeux de nombreuses formations syndicales. Alors évidemment en période électorale les passions se déchaînent. Que nous réclamions une reconnaissance du métier de Directrice ou Directeur d'école semble ahurissant aux yeux de certains. Croyez-bien, non pardon soyez-en persuadés, ils sont peu nombreux : mais qu'est-ce qu'ils font comme bruit !

Peut-être ne le croirez-vous pas, mais je conserve un côté naïf. Probablement "naïf" n'est-il pas l'adjectif qui convient, mais je n'arrive pas à en trouver un autre. Je suis une personne confiante, je ne crois pas à la bonté inhérente de la personne humaine, je ne suis pas Rousseauiste pour un sou, mais quand je rencontre quelqu'un ou quand je fais une inscription dans mon école pour un nouveau "petit" de trois ans je suis souriant - c'est naturel chez moi - et surtout je veux croire à l'honnêteté et la gentillesse des personnes que je rencontre.

Cela m'a souvent rendu service. Fréquemment dans ma petite école maternelle j'ai affaire avec des personnes dont c'est le premier enfant qu'ils viennent admettre à l'école, ils sont inquiets et je fais tout pour les rassurer, les faire sourire ou rire, d'autant qu'ils sont nombreux à n'avoir pas de bons souvenirs de l'institution. Je ne parle pas des "anciens", ceux dont nous avons déjà eu un enfant, et qui débarquent tout contents de me revoir et de remettre les pieds à la mat'... quand ils l'ont quittée, parce que j'ai quand même pas mal de familles avec trois ou quatre gosses, que depuis quinze ans j'ai tous eu dans ma classe ! Qui s'en souviennent, merci, avec plaisir, et sont heureux de venir m'embrasser chaque matin en accompagnant le petit frère ou la petite sœur même si il ou elle n'est pas dans ma classe. Cela, ce sont des souvenirs emmagasinés pour plus tard, dans peu de temps, quand je serai un retraité soulagé.

Oui, soulagé. Parce que mon double métier, qui est aussi le vôtre si vous êtes Directrice ou Directeur d'école, est trop prenant, trop investissant. Il est castrateur, parce que je ne peux pas aller jusqu'où je l'aimerais, ni faire tout ce que je voudrais pour certains de nos élèves. Il est frustrant; déprimant souvent, fatigant. Il est injuste, parce que je dois parfois abandonner mes élèves pour un acte que seul le Directeur peut accomplir. Il est aussi accomplissant, je l'admets, quand j'ai beaucoup donné et que je vois des enseignants souriants, des enfants heureux, des familles paisibles, une municipalité confiante, un(e) IEN qui ne pense même plus à nous...

Que d'efforts ignorés... Que de travail non reconnu... Que de "petites" choses dont nous ne parlons pas mais qui nous bouffent notre temps, notre énergie... Ah oui ce SMS envoyé aux services techniques parce que patati, ce document imprimé ou transmis pour une enseignante qui pouvait très bien le faire seule mais qu'on sent aux taquets, ces trois mots rassurants donnés à une famille inquiète... C'est constant c'est permanent c'est intrinsèque mais à par nous autres qui s'en rendra compte ? Tant qu'on a pas été Directrice ou Directeur d'école il est impossible de comprendre ce que signifie et ce qu'implique notre travail.

Alors les revendications du GDiD font-elles de nous des monstres ?



Nous voulons que les Directrices et Directrices puissent exercer leur métier selon  le contenu qui a été donné par le référentiel que de nombreuses années de travail nous ont apporté - enfin - en décembre 2014. Ne pensez pas une seule seconde que le GDiD y fut étranger. Si certains syndicats alliés nous y ont aidé, c'est bien notre labeur qui a porté ses fruits. What else ? dirait George Clooney. Ou plutôt "qui d'autre" ?

Car en sommes nous voulons quoi ? Nous ne vivons plus au siècle de Zola, ni à celui de Piaget. Nous sommes en 2018, bientôt en 2019, plus en  1876 ni en 1936 ni en 1942 ou en 1947, j'en suis navré pour les thuriféraires de l'ordre ancien, qu'ils soient nostalgiques du Front populaire ou de l'Etat français, ou spleenétiques de la blouse et du coup de règle sur les doigts. J'en suis navré, mais j'ai connu ça enfant, et franchement je ne regrette rien. M'en voudrez-vous si j'exprime que pour regretter le passé il faut être au mieux abruti au pire un con fini ? Moi je vis dans le présent, et j'espère beaucoup en l'avenir, tant je pense que les générations qui suivent la mienne ont plus à proposer et à offrir. Mes enfants, mon petit-fils, méritent mieux que ce que j'ai connu et que je connais.

Donc nous voulons que les Directrices et Directeurs d'école aient un statut qui leur permette de travailler sereinement. Un statut c'est quoi ? Ce n'est pas juste un titre. C'est la possibilité d'acter, c'est à dire avoir une personnalité juridique. tant qu'à être responsable de tout autant en avoir aussi les avantages, c'est à dire avoir la responsabilité mais aussi le droit de décider : pouvoir prendre une décision en connaissance de cause, décider d'un achat et pouvoir signer un chèque pour en régler le montant, avoir le choix et le droit d'en assumer pleinement et totalement la responsabilité; faire un choix pédagogique pour son école, pour nos élèves, sans avoir à le demander à quiconque qui ne connait pas notre école ou n'y connait que dalle comme aujourd'hui ceux qui nous gouvernent, nous autorisent ou nous interdisent sans savoir ni quoi ni qu'est-ce ni comprendre quoi que ce soit à nos besoins nos envies nos impératifs ni ceux des enfants dont nous avons la charge. En somme être un chef d'établissement, et même plus tant ces derniers ne connaissent que peu leur métier : les principaux de collège sont-ils encore au contact quotidien des élèves ? Allons, soyons sérieux. Aujourd'hui clarté oblige, nous avons toutes les charges sans avoir aucun des avantages. Est-ce trop réclamer ?

Pire encore, le GDiD réclame un statut particulier. Se trouver sous la tutelle d'un collège ? Certainement pas ! Nous faire croire que les besoins d'un enfant entre trois et dix ans seraient les mêmes que ceux d'un adolescent serait nier toute la recherche pédagogique et toute la connaissance chèrement acquise depuis un siècle et demi. Nous voulons regrouper les écoles, parce que croire que les Directrices et Directeurs obtiendront un statut tant qu'ils seront 45000 à diriger des écoles dont 80% ont quatre classes ou moins c'est au mieux une illusion au pire un éhonté foutage de gueule de la part de syndicats dont je veux bien croire que certains sont aveugles. Pour autant devrait-on laisser faire n'importe quoi et accepter des établissements primaires à plus de seize classes ou plus ? Certainement pas, alors que des écoles de cette taille existent déjà. Que cela n'offusque personne me dépasse. Où est le Directeur ? Ah désolé il est en réunion. Comme proximité des élèves et de leurs besoins, des familles et de leurs besoins, des enseignants et de leurs besoins on fait mieux ! Désolé, ce n'est pas ma tasse de thé. Irai-je jusqu'à écrire que ça me dégoûte, et que je ne comprends pas que certains l'admettent aujourd'hui ?

Je suis un monstre. Je veux que mes successeurs puissent travailler dans de meilleures conditions, qu'ils n'aient plus à choisir entre leurs élèves et leur boulot quand on leur téléphone ou qu'on leur demande une paperasse ou une ânerie ministérielle. Parce que ce qui m'importe c'est la réussite de mes élèves, de CHACUN de mes élèves, pas la notoriété d'un ministre ou d'un IEN ou d'un DASEN dont je sais pertinemment que dans deux ans ou trois ou quatre il ne sera plus là pour me conter lanlaire. Moi dans deux ans je serai en retraite, tant mieux, je vois plein de jeunes futures et futurs Directrices et Directeurs d'école qui piaffent pour me remplacer, avec enthousiasme, avec désir, avec la volonté de faire progresser leurs élèves. Est-ce être un monstre que vouloir que ceux qui me suivront puisse avoir les mains et l'esprit libres pour faire au mieux ?

 Alors d'accord, je suis un monstre.


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