vendredi 4 septembre 2020

Bon repos M. Graeber...

L'anthropologue David Graeber est décédé à 59 ans (nous avions le même âge). Il était l'inventeur en 2013 du concept des "bullshit jobs" ou "métiers à la con". Graeber était un esprit brillant, un peu anarchiste, et qui détonnait dans l'establishment professoral américain.

Son idée a été largement critiquée. Pour Graeber le monde du travail contemporain est farci de contraintes inutiles :
« Pour y arriver, des emplois ont dû être créés qui sont, par définition, inutiles. Des troupes entières de gens, en Europe et en Amérique du Nord particulièrement, passent leur vie professionnelle à effectuer des tâches qu’ils savent sans réelle utilité. Les nuisances morales et spirituelles qui accompagnent cette situation sont profondes. »

Les "bullshit jobs" appartiennent au secteur des services: les fonctions dites de support et de service (ressources humaines, management, droit, qualité, finance, communication, conseil, etc.) et plus largement les emplois de bureau, de l’employé administratif au manager:
« Nous avons pu observer le gonflement, non seulement des industries de “service”, mais aussi du secteur administratif, jusqu’à la création de nouvelles industries comme les services financiers, le télémarketing, ou la croissance sans précédent de secteurs comme le droit des affaires, les administrations, ressources humaines ou encore relations publiques. »

Les critiques ont estimé que l’avalanche de normes, de procédures et autres formalités, indispensables au management de l’économie globalisée, rendait nécessaire l’inflation de cette bureaucratisation des tâches.

Ce que les critiques ont totalement oublié, c'est que ces normes et procédures ont été inventées de toutes pièces justement par ces "bullshit jobs" qui ainsi peuvent justifier leur propre existence. et bien entendu se croire utiles. Pour Graeber les détenteurs d’un "métier de merde" se reconnaissent à ce qu’ils ne se leurrent absolument pas sur la vacuité de leur travail; il leur est alors évidemment important de faire croire à leur importance en créant les conditions nécessaires à celle-ci. C'est un leurre, où le serpent se mord la queue.

Nous connaissons clairement le phénomène dans l'éducation nationale. Combien de personnes connaissons-nous dont le seul et unique labeur consiste à nous emmerder inutilement ? J'ai personnellement foutu à la porte de mon école il y a quelques années un de ces enquiquineurs incompétents dont la seule motivation consistait à faire ch[...] le monde. Je précise que c'était de notoriété publique, et que le type en question s'était débrouillé toute sa carrière pour ne pas mettre les pieds dans une classe.

Ces "métiers de merde" sont une plaie purulente dans le monde du travail contemporain, et surtout dans l'administration qui n'enquiquine pas que les agents publics mais également largement les entreprises comme les territoires. Pour ne parler que de l'éducation nationale la DGESCO est remplie de personnes de ce genre qui manipulent jusqu'au cabinet du Ministre et s'en targuent impunément. Dois-je exprimer le coût pour la société de cette engeance ?

Il est clair pour moi que le Ministre, qui se prend tout dans les dents, n'est pas responsable de la situation actuelle des Directrices et Directeurs d'école. Je suis persuadé qu'il souhaite lui-même que notre situation évolue positivement vers une responsabilité claire, accrue, reconnue et aidée. Mais que faire quand votre propre administration fait tout pour que perdurent des strates pyramidales innombrables de pseudo-responsables pourtant nuisibles ? Qui exprimera encore et encore sinon moi combien les écoles ont bien fonctionné durant le confinement/déconfinement que nous avons connu, alors que pour une fois et à notre grand soulagement ces gens restaient muets d'incompétence ?

Alors j'exprime à M. Graeber toute ma reconnaissance pour avoir exprimé tout haut ce que chacun pense tout bas. Que cet homme désormais en paix puisse reposer avec la satisfaction d'avoir dit ce qu'il fallait dire.





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