mercredi 3 octobre 2018

Poisson rouge...

Je possède une faculté merveilleuse qui je crois m'aide grandement à vivre, celle d'avoir une mémoire de poisson rouge. Je ne suis pas physionomiste - j'ai décidé jeune d'oublier, quand je faisais des remplacements, trop de visages... -, je ne retiens pas les noms ni beaucoup d'autres choses. En revanche je me rappelle très bien ce que je dois faire et quand sans avoir besoin d'agenda, ce qui me convainc qu'il s'agit d'un blocage volontaire lorsque j'oublie quelque chose.

C'est ainsi que j'oublie chaque année à quel point une rentrée peut être difficile. C'est confortable car je n'appréhende rien, mais je me retrouve fort surpris chaque mois de septembre par l'ampleur de la tâche qui attend un Directeur d'école. C'est comme une naissance, un parent oublie rapidement combien les premières semaines d'un nouveau-né sont difficiles, et heureusement car sinon l'humanité aurait depuis longtemps disparu tant personne ne voudrait en faire un deuxième !

Sauf que moi ça fait depuis 2001 ma énième rentrée comme Directeur d'école... L'accouchement me parait chaque fois plus difficile. A mes débuts dans ce métier à double-casquette je n'avais tant à faire, loin de là. Aujourd'hui c'est incroyable à quel point notre besogne est devenue complexe et éreintante. On nous a empilé sur les épaules une masse d'obligations et de corvées qui pour beaucoup sont inutiles - des élections de parents d'élèves avec une seule liste ! - ou qui parait-il ne souffrent aucun délai - c'est à faire pour l'avant-veille dernier délai -, ce qui me laisse perplexe. Quand un IEN en soif de pouvoir absolu n'y ajoute  pas quelques inventions de son cru, en général d'ailleurs avec une rage injonctive ahurissante, la bave et l'écume aux lèvres...

Et puis s'y superposent les "nouveautés". Je pense à une collègue Directrice qui par malheur pour elle aime le CP et y enseigne avec bonheur... Cette année elle se paye en plus du reste la joyeuseté d'évaluations dont l'intérêt nous laisse dubitatifs, que de plus elle n'a pas corrigées et dont elle doit se taper - dans tous les sens du terme - la saisie sur un programme en ligne surchargé qui fonctionne quand il en a envie. Notons que cette collègue n'a qu'une seule journée de "décharge" pourtant déjà fort bien remplie.

Pour ma part je coupe à cette nouvelle obligation avec ma petite école maternelle. Heureusement parce que moi j'ai charge de classe à plein temps. Non, je mens, j'ai eu avant-hier ma "décharge" mensuelle (je déteste ce mot que j'ai mis entre guillemets, j'y vois une connotation vaguement sexuelle et de toute manière ordurière qui m'indispose). J'ai comme de juste passé ma journée dans mon bureau à des tâches bizarres dont certaines ne me paraissent pas réellement dignes de mon niveau de responsabilité, comme d'imprimer des centaines d'enveloppes de toutes tailles pour ces satanées élections dignes d'une dictature fasciste avec leur liste unique dans mon école... J'en suis sorti avec un mal de tête épouvantable.


Chaque année me semble donc plus compliquée. Pourtant...

Pourtant je connais ce métier comme ma poche. Pourtant j'ai de l'entregent et de la bonne humeur. Pourtant j'ai une classe d'élèves gentils et travailleurs. Pourtant j'ai une IEN attentive et proche de ses Directrices et Directeurs. Pourtant je travaille avec une municipalité réactive et sympathique. Pourtant les enseignantes de l'école sont bosseuses et souriantes. Pourtant nos élèves semblent heureux, leurs compétences augmentent à vue d’œil, ils grandissent dans la sérénité et le bien-être. Pourtant notre projet d'école est enthousiasmant. Pourtant...

Alors pourquoi je trouve mon métier de Directeur chaque année plus lourd, moins intéressant, plus stressant, plus fatigant ? Je peux accuser mon âge, je ne recule pas à le faire régulièrement, ou ma santé qui défaille un peu plus à mesure que le temps passe. Mais il faut regarder les choses en face et admettre qu'être Directrice ou Directeur d'école aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce qu'il en a été, nos responsabilités et nos charges désormais dépassent le cadre de la direction d'école telle qu'elle fut construite et telle qu'elle est perçue et rémunérée. C'est bien ce que de nombreux syndicats refusent d'admettre, qui voudraient faire croire qu'on peut encore en cette première moitié du XXIème siècle faire fonctionner l'école comme en 1950 ou 1975. Nos responsabilités, nos charges, ne sont pas partageables ni divisibles, elles réclament des compétences particulières, du temps et de l'investissement. Nous sommes maintenant des cadres supérieurs, nous gérons et supervisons un nombreux personnel adulte et de vastes locaux abondamment fréquentés, nous organisons l'enseignement de qualité que méritent nos nombreux élèves... et en plus la plupart d'entre nous ont charge de classe ! Comment rémunère-t-on normalement un cadre supérieur ? Comment est-il considéré ? Se fiche-t-on à ce point de ses conditions de travail ?

Et plus simplement jusqu'à quand tiendrons-nous le coup ?
D'après l'agenda social du ministère notre métier se retrouvera en "réflexion" début 2019. Ce qui ne veut pas dire grand chose et n'engage pas plus. Au GDiD nous connaissons de longue date les circonvolutions de langage de notre administration. Et nous serons présents évidemment, car même si le ministère persiste à ignorer nos appels du pied et nos courriers nous savons que nous pourrons compter sur nos alliés syndicaux pour y participer, faudrait-il pour cela y contraindre et forcer l'institution. Nous sommes là depuis trop longtemps pour lâcher aussi facilement, et nous sommes encore et toujours les mieux placés pour expliquer ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas. Comptez sur nous.

Un dernier mot : le GDiD ne fonctionne qu'avec votre aide financière. Nous sommes bénévoles, nous n'avons pas de décharge syndicale et pour cause, les voyages à Paris coûtent cher... Adhérez, cela ne vous coûtera que 20 €, et vous serez certains d'être représentés comme Directrice ou Directeur d'école, et non comme "enseignant chargé de direction"... C'est ICI que ça se passe, et rendez-vous sur Facebook dans le groupe GDiD pour des discussions quotidiennes pleines de sens. A bientôt !

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