vendredi 6 novembre 2020

Sur la pointe des pieds...

J'ai fait les comptes ce matin : depuis 2012 j'ai écrit pour la cause des Directrices et Directeurs d'école 598 billets. Celui-ci est mon 599ème. Je n'irai peut-être pas jusqu'à 600.

Lorsque j'ai demandé à prendre ma retraite, j'ai cru innocemment - naïvement - que je pourrais continuer à écrire pour le GDiD sans aucune difficulté. J'étais même enthousiaste, je pensais avoir du temps pour le faire, je pourrais creuser la question, faire des écrits mieux construits et plus profonds.

En réalité, depuis cette rentrée que je n'ai pas faite, je n'ai rien qui vient. Rien, le néant, je suis sec comme une chaussette d'archiduchesse. Là où auparavant il me suffisait d'un point de départ pour que le reste suive très naturellement, désormais je n'ai aucune idée. Je ne sais pas quoi écrire que je n'aurais déjà écrit, pas quoi exprimer que je n'aurais déjà exprimé.

J'ai relu de vieux billets, écrits en d'autres temps avec d'autres ministres, d'autres représentants syndicaux, d'autres Directrices ou Directeurs dont beaucoup aujourd'hui ont quitté la fonction ou pris leur retraite. Je pourrais presque les remettre tels quels, en n'y changeant que quelques mots, tant peu a changé depuis 2012 et les débuts du "Confort Intellectuel", avant ce blog du GDiD qui existe aujourd'hui.

Un exemple, de juillet 2012 : "Car en matière d’école, tout a été dit. Nous sommes les champions de l’état des lieux. Nous croulons sous les rapports, les études, les expertises aussi variées qu’informées. Des vastes consultations comme celle lancée par Vincent Peillon, il y en a déjà eu beaucoup… autant de travaux pleins de promesses, qui, chaque fois, n’ont pas débouché sur la révolution promise."

Pourtant je vois bien qu'il y aurait beaucoup à dire ou redire, évidemment, avec ces confinements successifs (dont j'ai tout de même pratiqué le premier), ces changements de cap toutes les deux heures, le projet de loi Rilhac, les "groupes de travail" dont le GDiD fait partie grâce à Alain Rei, la mort épouvantable de notre collègue Samuel Paty, celle qu'il ne faut pas oublier de Christine Renon, les "services civiques" qui me rappellent d'autres dispositifs aussi peu convaincants, les promesses non tenues d'allègement des charges des Directeurs, les injonctions absurdes, les masques empoisonnés et trop petits, les fichiers Excel inutiles à remplir pour l'avant-veille et autres sondages administratifs forcément indispensables, les possibilités de contamination pour des personnels exposés six heures par jour,  maintenant les réclamations et menaces des familles qui ne veulent pas que leur cher ange porte un masque qui pourtant est imposé et se laissent berner par des groupuscules d'extrême-ce que vous voulez.

Et puis malgré les difficultés du quotidien il ne faut pas oublier la finalité du GDiD, soit le changement de statut des Directeurs, qui pour nous passe nécessairement par un changement de statut de l'école. Ce fut depuis vingt ans un lourd labeur quotidien et ça l'est toujours, entre coups de téléphone et demandes d'aide, contacts avec les médias, réunions au ministère à la Chambre au Sénat... Personne ne chôme, c'est bénévole et fatigant, c'est lassant parce que tous les deux ans il faut remettre le couvert et recommencer à expliquer, même si au cours du temps notre discours s'est imposé et que peu aujourd'hui remettent en cause la nécessité de faire évoluer notre statut. Non, je ne parlerai pas de ce peu que vous connaissez déjà, je n'ai pas d'énergie à dépenser bêtement.

Il y a donc énormément à dire et à écrire. "J'voudrais bieeeeeen, mais j'peux poiiiiint !" Je me répète, ça ne veut pas sortir. Et je crois savoir pourquoi.

Concrètement je ne vis plus vos difficultés, que je connais. Je me couche et me lève à l'heure qui me chante, m'occupe de mes petites affaires, je fais le ménage dans le bouzin accumulé depuis quarante ans chez moi comme dans ma tête. Et je vous l'avoue honnêtement, je ne me sens plus vraiment concerné malgré mon investissement passé. Je suppose que c'est logique, mais ça reste pour moi inattendu.

Et puis je ne me sens plus légitime pour parler à votre place. Quand je lis sur notre groupe Facebook ce qui vous arrive, je suis sidéré par les circonstances actuelles et leurs conséquences. Mais je ne les vis pas, je ne ressens pas les douleurs que vous ressentez dans ma chair ou mon esprit. J'ai perdu la connexion. Je n'en ai pas honte, c'est comme ça. Là où auparavant la peine, la fatigue ou la colère motivaient mon enthousiasme et me poussaient à écrire, aujourd'hui je ne ressens concrètement plus grand chose sinon de la compassion.

Il est donc temps pour moi, je crois, de me retirer. Sur la pointe des pieds. Je ne vous dis pas que je n'écrirai plus rien, peut-être dans quelques semaines proposerai-je à ceux qui sont pour moi devenus des amis un billet sur un sujet qui vous concerne. Peut-être me demanderont-ils un mot pour faire avancer les choses. Mais je ne peux ni ne veux plus laisser croire que je m'investirai comme j'ai pu le faire jusqu'à présent, ce serait les tromper et vous tromper aussi. C'est bien entendu hors de question.

C'est donc un au revoir, pas un adieu je pense, que je vous fais avec ces mots. J'espère voir prochainement des avancées concrètes mais je veux rester prudent. Je fais confiance à l'équipe pour persister, avancer, ne rien lâcher. Que le GDiD vive le temps qui sera nécessaire pour qu'enfin les Directrices et Directeurs d'école soient reconnus et puissent travailler efficacement dans la sérénité. Quant à vous, vous tous sur le terrain qui chaque jour vous débattez avec vos élèves, votre administration, les élus ou vos familles, tenez bon ! Et pensez à vous surtout, rien ne vaut de se détruire et surtout pas la Direction d'une école.

Pascal Oudot