mercredi 18 novembre 2020

Le Dindon de la Farce

Je retiendrai de ce 16 novembre que, directeur d’école avancé dans la carrière, pilotant 310 élèves sur 13 classes et regroupements, je fus comme beaucoup d’entre nous le dindon de la farce…

Au Moyen-Age, les « farces », courtes comédies bouffonnes et sociales, mettaient en scène des hommes crédules, déguisés en dindons (pour signifier un homme dupe, facilement manipulable) dont on se moquait.

Ainsi par exemple, La Farce de maître Pathelin…

La Farce de Maitre Dirlo-lette

Aujourd’hui, nous venons de vivre La Farce de Maitre Dirlo-lette, opéra bouffe en un acte, à ceci près qu’il ne s’agit pas d’un auteur anonyme mais d’un ministre clairement identifié.

Plusieurs sentiments me traversent depuis que je suis sorti de l’école et que bien malheureusement après avoir eu mon ami et Président de notre GDID Alain REI au téléphone, j’ai allumé la radio…

Colère, abattement, résignation, dégoût… je ne vais pas tout citer, vous trouverez toutes les nuances de cette grisaille émotionnelle.

Soyons clairs : la première phrase est flatteuse pour l’auditeur moyen : 400 millions d’euros pour revaloriser les enseignants ! Énorme !
Puis vient le détail : une prime d’équipement numérique de … 150€, première plume arrachée au dindon qui pourra dès lors s’acheter une souris sans fil afin de courir derrière !
Ah, mais mon pauvre gallinacé, ce n’est pas fini : ce n’est pas pour tout le monde, que nenni !
Vous qui avez perdu des plumes au gré de votre métier, vous qui avez cru même un instant au fameux GRAF, vous n’aurez rien… 

Une prime n'est pas une revalorisation !

Attention, c’est très bien que nos jeunes dindons puissent avoir une prime d’attractivité, même si elle me fait penser à une ancienne pub du sel Cérébos : ce petit garçon cruel qui courrait derrière un coquelet pour lui saupoudrer la queue de sel fin… Un peu miroir aux alouettes !

Explication : il s’agit d’une prime, dégressive en fonction de l’ancienneté (une première !), et non d’une augmentation de salaire (augmentation du point d’indice ou augmentation de l’indice)
Résultat : rien n’augmente vraiment, car une prime dégressive attachée à l’ancienneté ne se perpétue pas d’année en année… par définition.
Bon, notre dindon en a vu d’autres, et continuant de glaner ses graines, il arrive à la direction d’école.
Enfin ! Glousse-t-il…

La direction d'école moquée

Ben, euh, comment dire, non … non plus…
Et hop, quelques plumes arrachées du croupion…
Car, avec forces formules habiles, notre sémillant ministre flatte encore une fois l’auditeur au détriment du volatile :
Ce sont les petites écoles qui vont être, enfin, récompensées. Vous savez, celles qui sont la majorité des 45000 écoles de France… A priori, notre dindon peut y voir une belle preuve de solidarité, un peu de justice... Ah, mais non... Le dindon n'a que des graines vides et avariées...

Parce qu'en fait, ce n’est enfin que la mise en place, de ce qui est du à ces “petites“ écoles abandonnées depuis des années : leur directeur ou directrice avait droit à une décharge que jamais on ne leur donna faute de moyens humains disait-on. Sur les 1500 équivalents temps plein, cela en représente 900… Je vous laisse faire le calcul de l’effort inimaginable pour une maison de 333000 enseignants dans le premier degré public…
Bien sûr que c’est une bonne chose, bien sûr que la moitié des écoles de France doit pouvoir compter sur une direction d’école ayant du temps pour sa mission… Sauf que ce n’est pas cela… Juste le rattrapage de ce qui avait été annoncé à l’auditeur crédule il y a plusieurs années et qui ne fut jamais appliqué…
Après les plumes de la queue, on fait mine de remplumer les ailes de notre pauvre dindon que l’on avait déjà coupées…

Notre dindon endolori court toujours… Et il apprend alors que pour mieux courir, il aura deux jours de formation par an ! Quelle aubaine, mais de formation sur quoi, sur quel temps ? Celui de sa pauvre décharge ? Avec quels moyens de remplacement ? Parce que, soyons honnête cher fermier du Meilleur des Mondes, mais le nombre de jours de formation passés à la trappe du poulailler faute de merles pour remplacer se compte sur les plumes restant en place…

Sans compter qu’il va manquer de temps pour courir : il est nommé grand ordonnateur du remplissage des tableaux des 108h… Les très riches heures du Duc de Berry n’ont qu’à se bien tenir…
Sauf que, las… Cette emblématique mesure censée montrer l’autonomie donnée au dindon dirlo-lette n’est encore une fois qu’un leurre : aucune autonomie puisque ces heures ne sont pas libres (donc ne pouvant toujours pas correspondre aux besoins locaux et réels), mais bien encadrées (et devant lui en rendre compte) par le Grand Dindon en Chef, l’Inénarrable Emplumé de Notoriété, qui je pense se serait bien passé de cette mascarade…

Allez, dindon, console toi… Ne glougloute pas à la mort !
Il reste les 600 ETP (équivalents temps plein) pour les autres directrices et directeurs…
Soit 2400 jours par semaine sur la France entière, soit 2400 jours par semaine pour plus de 25000 écoles restantes !
Attention, nous ne crachons pas dans la soupe, mais nous voyons bien que l’auditeur ne connaissant pas la cuisine du dindon, ne peut se rendre compte à quel point la farce est amère …

Des propositions pour réagir ENSEMBLE !

Que faire me direz-vous, désabusés tout autant que déplumés ?
Mme Rilhac, porteuse d’un projet de loi sur le direction d’école, avait chiffré l’abaissement du seuil des décharges : 6000 ETP.
C’est encore faisable.
Que faire ? Réagir enfin… Peut-être, mais ensemble voulez-vous ?
Qu’enfin toutes les Organisations Syndicales et notre GDID national puissions nous asseoir autour d’un table, rapidement, et qu’il sorte le PPCM de cette rencontre vitale…
Parce que là, notre dindon est à l’agonie.
Nous lisons tous les jours les témoignages de collègues qui craquent, qui pleurent, qui dépriment, qui sont intimidé(e)s, qui sont méprisé(e)s, qui ne sont pas respecté(e)s…
Alors ça suffit !

Que des mots d’ordre clairs nous protègent contre toute intimidation afin que nous nous limitions au temps de décharge effectif que nous avons :
- Qu’aucune remontée ne se fasse en dehors de ce temps,
- Qu’un message clair soit programmé sur l’ordinateur de la direction d’école disant : « n’étant pas actuellement en temps de direction d’école, je ne peux traiter ce message. Il s’ajoute à la liste d’attente que je ne pourrai gérer que lors du temps prescrit pour la direction, soit “n“ (où n représente le quota indiqué sur ONDE) jours par semaine ainsi que mentionné sur le logiciel de gestion de cette école ».
- Que la loi relative au droit à la déconnexion s’applique, et que tout mail, qu’il soit du ministère ou de l’IEN, arrivant sur nos boites perso ou d’école soit renvoyé avec la mention : « conformément aux préconisations accompagnant la loi du 21 juillet 2016 relatives au droit à la déconnexion, qui incitent à ne pas envoyer de mail en dehors des heures habituelles de travail, aucune garantie de traitement de ce mail ne peut être assurée »
- Que les téléphones d’écoles soient coupés en classe ;
- Que les portails restent fermés (après avoir prévenu les parents d’élèves éplorés de ces pauvres poussins revenant de l’orthophoniste que nous ne pouvons pas assurer le rôle de secrétariat, concierge, accompagnateur et enseignant en temps de classe (et que nous le regrettons sincèrement, parce que c’est vraiment dommage pour Kevin ou Alison, mais… aujourd’hui, c’est ainsi) ;
- Que la cantine, l’étude, les transports scolaires, la régie des travaux, le peintre et le livreur soient avertis des jours de direction, et sinon, adressez vous à la mairie…

- Qu’aucune enquête non prévue dans le référentiel (donc aucune en fait, hormis le constat des effectifs et la saisie des prévisions) et donc dans ONDE ne soit plus jamais renseignée, même pour 5 minutes…
- Que les certificats de scolarité, les livrets scolaires pour aller dans le privé, les listes pour la médecine scolaire ne puissent être traités que les jours dédiés à cela…

Chacun, dans sa basse-cour, trouvera de quoi alimenter l’expression de notre ressentiment commun.
Pour que notre pauvre dindon puisse enfin s’asseoir sur son croupion dégarni, et dans l’attente du temps nécessaire à son travail, obtenu par l’action conjointe de ses représentants associatifs et syndicaux, il puisse juste respirer un peu, juste un tout petit peu, en attendant que la Guilde des Gallinacés Autonomes soit enfin reconnue comme telle.

Parce qu’il arrive un temps où le dindon ne veut plus être moqué, parce que le temps de la dignité est largement dépassé, et que la confiance ne se joue pas dans les yeux de Kaa…

Marc Burlat


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