dimanche 15 mars 2020

Faites-vous confiance !

Le plus étonnant à mes yeux dans cette péripétie singulière qu'est la fermeture de nos écoles (ce qui ne s'est pas vu depuis 1939 !), c'est l'affolement général de notre institution, son excitation désordonnée, sa précipitation inopérante.

Autant mes parents d'élèves étaient calmes et fatalistes vendredi soir, car ils s'étaient déjà organisés, eux, autant la pyramide administrative sensée nous diriger s'est effritée dans une succession rapide d'ordres et de contrordres, de courriels incompréhensibles et hautement redondants, et surtout de mesures et contre-mesures toutes plus ahurissantes les unes que les autres.

Il est très clair que l'éducation nationale ne sait pas gérer une situation de crise. Contrairement à nous, Directrices et Directeurs d'école. Les contacts quotidiens qu'a le GDiD avec des collègues répartis sur tout le territoire national montrent un calme olympien, des organisations préparées dès le jeudi soir, une information claire des familles. Et par-dessus tout une prise de responsabilité d'une dignité et d'une qualité remarquables.

Notre métier de Directrice ou Directeur d'école n'est pas reconnu par notre administration, mais nous le connaissons par cœur et savons tous l'assumer sans modération. N'en déplaise aux centrales syndicales qui veulent nier notre importance, ce sont dans de telles situations de crise que notre rôle prend tout son sens. Si cela peut servir de leçon, tant mieux.

Quelques points sont à souligner dans cette histoire, qui devront être pris en compte lorsqu'il s'agira de faire le bilan.

Il y a d'abord le désordre de notre institution, dont la communication envers les écoles est désastreuse. Elle n'est que l'image d'une administration sclérosée : le ministre contacte les recteurs (par vidéo-conférence) le vendredi matin - comme si ces personnels qui ont pourtant semble-t-il des astreintes ne pouvaient être contactés dès le jeudi soir -; puis les recteurs communiquent avec les DASEN, qui à leur tour... Quel cirque ! Il aura fallu attendre la fin de l'après-midi du vendredi, alors que les familles étaient parties, pour obtenir quelques vagues consignes. Heureusement que nous n'avions pas attendu pour nos prises de décisions. Puis ce fut une avalanche tout le week-end de courriels qui n'exprimaient que ce que nous savions déjà. Il est amusant de constater que notre hiérarchie qui n'a aucune considération pour nous et veut ignorer notre importance sait bien nous trouver quand elle se rend compte que nous sommes les seuls relais indispensables sur le terrain !

Il y a ensuite la profonde inadéquation des consignes qui nous sont données par rapport à l'importance de la crise que nous subissons. Et l'absence de logique dans les recommandations... ou les ordres. Je me répète, mais j'avais expliqué dès le 6 mars soit avant la rentrée des vacances de la zone A, que laisser les écoles ouvertes c'était tout faire pour que le virus se propage dans des régions jusque là épargnées. Ce qui n'a pas loupé. Réclamer aujourd'hui que les écoles ouvrent pour accueillir les enfants des personnels soignants est une absurdité, d'autant que la logique sanitaire veut que les services périscolaires et la restauration soient fermés. Proposer de regrouper ces enfants dans certaines écoles choisies dans le cas où ils seraient très peu nombreux en est une autre à l'heure où il est indispensable de limiter les déplacements ou les regroupements. Enfin demander aux enseignants de venir sur leur lieu de travail est clairement une imbécillité, je n'ai pas peur du mot.




Il est vrai que l'éducation nationale ignore depuis longtemps la santé de ses personnels. Alors que les agents territoriaux qui interviennent dans nos écoles sont activement surveillés par la médecine du travail, les enseignants sont eux totalement laissés pour compte depuis quarante ans. A un point catastrophique. Ma dernière visite médicale date de mon entrée dans la carrière, en 1979.

Il est souvent exprimé - à juste titre - que les vacances scolaires concernent les enfants, pas les enseignants. De nombreux clampins de notre pyramide institutionnelle considèrent donc que ce sont les enfants qui ne doivent pas venir à l'école, mais que les Directeurs et les enseignants doivent assurer leur service... C'est consternant de bêtise ! Rien que dans ma petite école de trois classes nous serions donc une dizaine à nous regarder dans les yeux pendant plusieurs semaines, nous refilant avec allégresse ce virus que certainement depuis le temps nous sommes nombreux à transporter, et surtout traînant à ne rien faire car comment assurer la fameuse "continuité pédagogique" avec le peu d'équipement que nous avons à l'école ? Nous sommes largement mieux équipés chez nous et à même d'y travailler. Je n'ose pas imaginer le nombre de personnels concernés dans certaines "grosses" écoles entre enseignants, ATSEM, AESH, remplaçants sur leur lieu d'affectation, et peut-être personnels communaux si la municipalité n'a pas eu la sagesse de confiner ses propres agents.

Heureusement je ne doute pas une seconde que les Directrices et Directeurs d'école de France sauront prendre d'eux-mêmes dès lundi les mesures qui s'imposent, en attendant une hypothétique réaction institutionnelle :

1) ne faire venir que le peu d'enseignants nécessaire à l'accueil éventuel des enfants de personnels de santé, dont je vous rappelle qu'ils doivent déjà prouver la réalité de leurs contraintes avec un document professionnel, et qu'il faudra convaincre de trouver une autre solution de garde car cet accueil n'est pas une nécessité mais un ultime recours (d'ailleurs les parents concernés devront exprimer sur l'honneur qu'ils ne peuvent faire autrement, document joint). Mais bien entendu leurs difficultés et leur investissement méritent tout éloge... et nos efforts.

2) opérer éventuellement un "roulement" entre enseignants pour cette surveillance d'enfants de soignants, en veillant dans la mesure du possible à ne pas mobiliser ceux qui ont eux-mêmes leurs propres enfants à garder (ce qui leur évitera le souci de faire une demande d'autorisation d'absence exceptionnelle). Il faudra également être attentif aux déplacements de ces enseignants dont beaucoup n'habitent pas près de leur lieu de travail.

3) confiner chez eux les autres enseignants et se confiner soi-même si possible.

4) mettre en place si ce n'est déjà fait la "continuité pédagogique", qui va nous donner du boulot.

Un point positif dans toute cette histoire est certainement que notre système éducatif va mettre en place de nombreuses solutions alternatives pour l'enseignement à distance. Il sera passionnant d'en faire le recensement et le tri une fois la crise passée, car je ne doute pas de l'inventivité du monde enseignant.

Un autre point positif sera peut-être la mise en avant du rôle central et indispensable des Directrices et Directeurs d'école. Il nous faudra nous saisir rapidement de cette évidence que nous connaissons déjà pour taper du poing sur la table. Au GDiD nous saurons nous en servir, avec l'aide de nos alliés syndicaux, n'en doutez pas une seconde.

Je vous fais tous mes vœux de réussite pour la gestion de cette crise inédite. Ne tombez pas malades ! Et surtout faites-vous confiance, chères et chers collègues Directrices et Directeurs d'école, s'il existe dans l'éducation nationale des personnels exceptionnels aptes à gérer la situation, c'est vous c'est nous !


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