mercredi 19 février 2020

Un statut ! Un statut ! Mon Royaume pour un statut !

Directrices, Directeurs d'école, notre situation est belle et bien Shakespearienne :

« J'ai bien l'intention de prouver que je suis un méchant
Et que je hais les plaisirs frivoles des jours actuels. »

Pardonnez-moi cette citation de Richard III, mais à mes yeux elle correspond bien à ma position. Oui, je déteste le sort qui nous est fait, je déteste que certains veuillent encore faire croire que le Directeur d'école n'est qu'un pion dans le management d'une école, et oui je veux bien passer pour un méchant, un traître, un félon, un monstre, tant je persisterai à dénoncer des gouvernants inertes, la saloperie de certaines organisations syndicales comme de leurs affidés plus ou moins bien cachés, et la bêtise de médias qui ne font pas le moindre effort d'information avant de parler de nous, sinon pour aller consulter encore et toujours le même sempiternel syndicat qui pourtant ne représente plus que lui-même.

Enfer et damnation ! J'ai osé utiliser le terme "management" ! Que n'ai-je point fait en prenant à mon compte un anglicisme qui pourtant a une signification claire, contrairement au mot qui qualifie ma fonction... "Directeur" ? C'est tout et rien, un directeur, ça n'a plus de sens, ça représente bernique, macache, sinon peut-être en France, dans notre inconscient collectif lorsqu'on parle de l'école, une image d’Épinal qui nous reste des textes de Pagnol.

Ah les mots... des maux, bien sûr. La boutade ne me fait pas rire. Tenez, le mot "statut"... Pour paraphraser de Gaulle, est-il utile de sauter partout comme un cabri en criant "Un statut ! Un statut !" ? C'est quoi un statut ? Quel statut ? Pour qui ? Pour quoi ? Ce terme ne veut rien dire en lui-même, imaginer qu'il suffit de réclamer un "statut" pour les Directrices et Directeurs pour arriver quelque part, c'est se raconter des bobards et en semer pléthore sur sa route. On met ce qu'on veut sous le mot "statut", du bon du beau du grotesque et du laid, à chacun sa définition ou son idée, sans que personne daigne jamais expliquer le sens qu'il lui donne. Sauf pour en faire un chant ou un champ de bataille, chacun mène à l'autre.


Personne ? Ah non, moi je veux bien  Mais il faut alors peut-être abandonner cette idée qu'il faille en préalable du reste un statut pour les Directrices et Directeurs d'école. Car tout ce qu'on pourra nous accorder, y compris un éventuel titre ronflant, ne sera que parcellaire, minimal, et peut-être poudre aux yeux. Reconnaître institutionnellement ce que pourtant nous sommes actuellement de fait, cela impliquerait de transformer immédiatement 45000 Directrices et Directeurs d'école en chefs d'établissement. Est-ce faisable ? Un établissement public de moins de quatre classes - 15298 écoles en France, 34% du total - n'a pas réellement de sens quel que le bout par lequel on le prenne.

Désolé si je vous fais mal mais c'est ainsi. Oh je sais, c'est en partie ma faute, j'ai tant bataillé sur ce sujet sans toujours expliquer ce qu'il signifiait pour moi. Mais j'ai des excuses, parce que nous revenons de loin, de très loin, de si loin... Avec les copines et copains de galère du GDiD nous sommes partis du néant. Aujourd'hui nous avons convaincu le Sgen-Cfdt, le Sne, le Se-Unsa - qui tortille un peu du cul - et certainement beaucoup d'autres. Nous sommes reconnus par les élus (nous serons encore au Sénat dans quelques jours), par l'AMF (nous y avons aussi rendez-vous bientôt)... Quel succès ! Mais pour cela il aura fallu être lapidaire, féroce, revendicatif, rendre coup pour coup et mordre parfois. Il aura fallu en entendre aussi, combien d'insultes avons-nous reçu ? Et puis cette suspicion au-delà du raisonnable de chercher pouvoir de coercition, de tentation de dictature...  Mais c'est bien notre époque qui place l'émotion comme une valeur respectable, et qui ignore la raison. Rien que de l'écrire j'en suis fatigué.

Car en sommes, si nous voulons améliorer notre sort de Directrice ou Directeur d'école, c'est l'école que nous devons changer. Il nous faut un nouveau statut, oui, mais pour l'école primaire publique. Aujourd'hui nous n'avons ni le temps ni les moyens de remplir pleinement notre mission première qui est celle de faire progresser scolairement nos élèves. Principalement parce qu'on nous demande constamment d'appliquer des règles, des consignes, des objectifs, qui pour la plupart ne nous concernent pas. Ensuite parce qu'on ne nous donne pas non plus les moyens pour le faire. Dites-moi ce dont vous avez besoin, je vous expliquerai comment vous en passer...

Nos écoles doivent être autonomes dans leurs choix d'organisation, dans leurs objectifs qui ne peuvent être semblables selon la région, la commune, ou sa population. Nos écoles doivent pouvoir acter sur certains points et certaines mesures, donc avoir une personnalité morale. Ce n'est pas imaginable en deçà d'une certaine taille, d'autant que beaucoup de Directeurs actuels ne souhaiteraient certainement pas prendre une telle responsabilité. En revanche pour moi aujourd'hui les 2933 écoles publiques dont les Directrices et Directeurs n'ont pas charge de classe devraient d'office devenir des établissements du primaire. En gros au-delà de treize classes, je ne comprends pas vraiment l'actuelle distinction entre élémentaire et maternelle.

Et pour les autres écoles, qui représentent 94% des écoles publiques en France ? Si je voulais vous raconter des bobards j'écrirais que tout est possible, qu'il faut le faire et qu'on verra après... Ben voyons. Si je regarde le statut actuel des IEN je constate qu'ils agissent par délégation du DASEN ; on pourrait imaginer une construction semblable qui permettrait de partager un secrétariat, voire une intendance, entre trois, quatre, cinq "petites" écoles. Sous la férule de qui ? J'entends déjà les sarcasmes ou les hurlements si j'évoque le principal du collège ou l'IEN, et j'y ai moi-même d'énormes réticences. Un "super-Directeur", comme l'écriraient les ennemis du GDiD ? Peut-être s'il était choisi collégialement parmi leurs pairs par les Directrices et Directeurs du regroupement, ou du moins que sa nomination soulève leur adhésion. Quoi qu'il en soit, le regroupement des écoles est une nécessité absolue. Jusqu'à éventuellement créer de nouveaux établissements dont le fonctionnement propre aura alors aussi sa propre justification et son propre chef.

Malgré tout il restera encore longtemps de très nombreuses "simples" écoles. Quel statut pour leurs Directrices et Directeurs ? Peut-être aucun au sens où on entend le terme "statut". A moins d'imaginer une formule dont honnêtement je ne perçois rien. Une amélioration de leurs conditions de travail certainement, nous n'en sommes plus au désir mais à la nécessité : diminuer le nombre de leurs tâches, améliorer l'efficacité des outils à leur disposition, diminuer drastiquement leur charge de classe, diminuer leurs responsabilités dont certaines impossibles à collégialiser - en particulier la sécurité - leur incombent absurdement aujourd'hui, améliorer leur rémunération... et donc réviser le référentiel-métier impossible à tenir pour une Directrice ou un Directeur qui n'a que deux bras, deux jambes, et une seule tête.

Je sens que j'ai déprimé nombre d'entre vous, je m'en excuse. Mais on ne peut pas se voiler la face ni continuer indéfiniment à faire des plans sur la comète. La réalité nous rattrapera toujours, qu'elle soit humaine ou budgétaire, territoriale ou juridique. Un statut réel et nouveau pour les Directrices et Directeurs ne peut découler que d'un statut nouveau pour l'école. Cela réclame sinon un consensus national auquel la France n'est pas habituée et auquel je ne crois pas - malgré qu'on en ait vu dans d'autres nations -, au moins une volonté politique forte et un projet construit pour l'école publique française du XXIème siècle. Le GDiD a des idées, c'est son nom et son credo, nos alliés syndicaux aussi. Mais qui pourra nous donner une vision d'avenir ? Qui nous apportera un tel projet ? Il nous manque certainement une personnalité pour l'incarner.

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