Voilà donc une semaine que les écoles françaises sont closes. Ou presque. Passée la stupeur, comme ce sentiment étrange qui m'a saisi le vendredi soir de la fermeture, il a bien fallu organiser cette situation inédite. Ce fut beaucoup de travail de la part des Directrices et Directeurs d'école. Car à partir du moment où il devenait nécessaire d'accueillir tout de même les enfants de certains personnels soignants, il fallait bien prévoir qui viendrait s'en occuper, de quels enfants, dans quelles conditions, dans quels lieux...
Il y eut clairement un peu d'excitation fébrile et parfois désordonnée. Beaucoup de questionnement également. Comment pouvait-on sans risque accueillir de jeunes enfants dont les parents étaient eux-mêmes fortement exposés ? Malgré des consignes pourtant fortes de la part des instances de santé, on nous demandait de regrouper quelques marmousets et forcément plusieurs adultes, sans matériel spécifique ni protection ni consigne réellement applicable. Car lorsque le Ministre demande que soient respectés les gestes-barrières, il est clair qu'il n'a pas dû voir beaucoup d'enfants de moins de six ans.
La solidarité s'est alors mise en place. Avec des enseignants volontaires se répartissant au mieux les journées de présence. Avec des Directrices et Directeurs dont l'efficacité opérationnelle a montré là toute sa puissance, passant de longues heures dans leurs écoles à gérer les questions matérielles, le téléphone accroché à l'oreille et les doigts sur le clavier de leur ordinateur, et renvoyant chez eux celles et ceux qui eux-mêmes parents d'élèves, ou âgés, ou malades, ou..., devaient se confiner. Avec des IEN qui pour la plupart - même si j'ai eu vent de quelques cas douteux - se sont investis au possible pour assister les équipes, s'y épuisant tard le soir. Avec des municipalités dont la réalité de l'investissement a été soudain clairement établie, ouvrant certaines écoles et y mettant du personnel également volontaire, organisant au mieux les périodes périscolaires, apportant du matériel de désinfection dans la mesure du possible, nettoyant les locaux. Avec des familles compréhensives, et des parents soignants reconnaissants de ne pas se trouver isolés. Si les premières heures voire les deux premiers jours furent bousculés, chargés d'émotion, d'hésitations, de prises de décisions "à l'arrache", peu à peu une organisation stable a pris forme partout ou presque, grâce à toutes celles et tous ceux qui quotidiennement œuvrent sur le terrain.
Il y a eu des ratés. Il y a eu des atermoiements. Il y a eu des erreurs. Il a fallu convaincre, discuter, proposer, avec des réticences et des grincements de dents, avec beaucoup d'excitation et parfois d'énervement. Mais vaille que vaille tout s'est rapidement mis en place parce qu'au fond chez tous les acteurs de terrain de l'enseignement primaire il y a plus de bonne volonté que du reste. Le reste se payera plus tard.
Notre institution, il faut bien le dire, est restée pétrifiée. Je n'en attendais pas moins tant j'exprime depuis des lustres son inutilité. Inefficace comme ce n'est pas permis, totalement éloignée des réalités, elle a aujourd'hui prouvé à tous sa totale incompétence.
On aurait pu croire qu'il existait au Ministère un plan d'urgence quelconque. Effectivement on demande aux Directeurs de prévoir des PPMS et autres DUER, qui doivent bien entendu être à jour avant telle date. Nous avons comme de juste dans nos Directions académiques des personnels qui grassement payés se consacrent à ce genre de chose. Directrices et Directeurs d'école étaient devant leur téléviseur le jeudi 12 mars, et ont entendu les décisions de M. le Président de la République. Dès 9h ce soir-là nous étions sur le pont, organisant la journée du lendemain et prévoyant nos interventions auprès des élèves, préparant déjà sans qu'on nous le demande la fameuse "continuité pédagogique". Nous eûmes droit le vendredi à un silence institutionnel total, sur l'air de "Atttendez, on va vous donner des consignes!", consignes que nous avons vainement attendues. Nous n'avions pas attendu, nous, heureusement pour les sept millions d'élèves du primaire français. Un plan d'urgence ? Rien, niente, que dalle.
C'est triste à dire, mais notre Ministre lui-même ne s'est pas illustré dans toute cette histoire, qui ne fait que commencer. Je veux être clair : je suis fonctionnaire d'Etat, mon ministre de tutelle est M. le Ministre de l'Education nationale. Je lui dois respect et obéissance. Mais comme je l'exprime régulièrement, et comme j'en suis foncièrement persuadé, le respect ne se décrète pas, il n'est pas lié à des formes extérieures comme le vouvoiement ou autre. Le respect, simplement, se mérite. On ne respecte que les gens respectables. Si mes élèves respectent le Directeur de maternelle que je suis, cela n'a rien à voir avec le fait que nous tutoyions ni qu'ils m'appellent par mon prénom, cela n'a rien à voir avec les câlins qu'ils peuvent me faire ou qu'ils me réclament, si je leur dis "non", ils savent que c'est "non", et tutti quanti. Et puis le respect ça se partage : je respecte par instinct ceux qui me respectent, ce qui n'interdit aucunement d'autres formes d'échange.
Quand un ministre dit tout et son contraire, quand il exprime le lendemain l'inverse de ce qu'il a dit la veille, je fais quoi ? La situation présente a été exemplaire et convaincante sur ce point, et Lucien Marboeuf s'en est fait l'écho avec talent :
" (...) jeudi 12 mars, dans la matinée, le ministre affirmait « il n’y aura pas de fermeture généralisée des écoles en France comme on a pu le voir dans d’autres pays d’Europe », quelques heures à peine avant que le PR Macron annonce leur fermeture ; le samedi 14 mars, il annonçait « la moitié des professeurs en permanence dans les établissements », quelques heures avant que le premier ministre demande « une action massive de télétravail pour permettre au plus grand monde de rester à domicile » ; le lendemain matin JM Blanquer ne parlait plus que de 10% des profs présents dans les établissements, un chiffre balayé dès le lundi devant la réalité du terrain, l’injonction à limiter les déplacements et la possibilité de travailler depuis son domicile. (...) "
Depuis ? Le silence. Un silence complet, total, qui démontre s'il en était besoin l'état de déliquescence de ce ministère. Quod novi sub sole ? Et c'est aussi bien finalement, le "Demerden Sie Sich" que m'ont appris mes collègues du Grand-Est aujourd'hui particulièrement touchés, hélas, n'est que l'illustration exemplaire du fonctionnement réel de l'école en France : c'est le terrain qui bosse, point-barre. Depuis longtemps.
Enfin, quand j'écris "silence complet"... Je veux, je dois, déplorer le péché mignon de M. Blanquer, qui est de préférer les médias à son travail. S'il croit par là tromper son monde, il se fourre le doigt dans l’œil. D'ailleurs en écrivant ces mots, moi qui lui souhaitais sans parti-pris la bienvenue lors de son arrivée à la tête du ministère, je suis plus désastré qu'autre chose. Pourquoi en est-on arrivé là ? Je cite encore Lucien Marboeuf, qui a tristement raison :
" (...) D’un point de vue pédagogique, le message asséné par le ministre aura partout été : « Nous sommes prêts, blablabla le CNED, blablabla Ma classe à la maison, blablabla on peut supporter des millions de connexions en même temps, blablabla attention les profs à la continuité pédagogique… ». (...) "
Monsieur le Ministre est sur les ondes, il communique. Tout va bien. Rendormez-vous, braves gens.
Mais prêt ? Qu'est-ce qui était prêt ? Se vautrer et se vanter dans les médias ne fait pas la réalité, et chaque français aura pu le réaliser, y compris celles et ceux parents d'élèves de mon école qui me remercient quotidiennement de ce que je fais pour matérialiser sur le net la fameuse "continuité pédagogique" qui a obsédé un ministre qui n'en baille plus une - et c'est tant mieux, des fois ça vaut mieux - depuis plusieurs jours. Rien n'était prêt, le CNED qui a failli crever il y a quelques années a eu un mal de chien (et je ne doute pas une seconde que chacun de ses agents bosse comme un malade depuis dix jours) à se mettre à disposition des familles. Et puis ben non, le CNED ce n'est pas parfait, pour la maternelle c'est... je veux être charitable avec mes collègues qui font du mieux qu'ils peuvent, mais franchement ce n'est pas génial. Oh ils en sont pleinement excusés, le CNED n'a jamais été conçu pour ça. Se replier sur une plate-forme d'enseignement à distance conçue pour des publics spécifiques, sans moyens et sans personnels, c'est indigne de la part du ministère.
Si encore le reste de la pyramide institutionnelle était présent, je pourrais éventuellement lui accorder quelque crédit. Mais le peu comme Directrices et Directeurs d'école que nous avons reçu sur le terrain vaut son pesant de grattons ! Après les trois premiers jours (les vendredi, samedi et dimanche qui ont suivi l'allocution du Président de la République) où chaque étage - ministériel, rectoral ou académique - s'est évertué à m'envoyer trois ou quatre fois les informations que je possédais déjà, depuis sagement chacun ferme sa gueule et c'est aussi bien parce que les rares qui l'ouvrent n'expriment que des conneries. Combien est-il vrai que quand on n'a rien à dire mieux vaut se taire ! Je ne citerai que l'inénarrable recteur de Nantes William Marois pour lequel « Chaque famille doit être contactée par téléphone une à deux fois par semaine, par le professeur pour le premier degré, par le professeur principal pour le second degré, pour faire un point sur le travail de l’élève, échanger avec la famille sur le suivi de son enfant. » et qui demande également de veiller aux familles éloignées du numérique et de l’école : « Pour ces élèves, tout particulièrement d’éducation prioritaire renforcée, des documents pédagogiques papier doivent être préparés et remis aux familles » en suggérant d’utiliser un commerce de proximité autorisé comme point relais...
Sur quelle planète vit ce type ?
Non mais si vous aviez tendance à croire que les gens mieux placés que vous dans la hiérarchie ont forcément plus de jugeote que vous, je suis désolé de mettre un terme à votre illusion. Sans blague, c'est sinistre. Dois-je évoquer les DASEN, ou les fameux "responsables sécurité" qui font chier tout le monde mais n'ont jamais dirigé une école ? Par charité chrétienne, je préfère m'abstenir. C'est toute la pyramide qui s'effondre, degré après degré, pierre par pierre. Il ne reste que la base, mais celle-ci est solide.
Bref, sur le terrain, on se débrouille. Même pour la "continuité pédagogique". C'est fou ce qu'il s'invente en ce moment dans les écoles ! L'avantage est que nombreux sont les enseignants ou Directrices et Directeurs d'école à avoir depuis longtemps mis en place les outils nécessaires à ce genre de chose. Pas pour cette situation certes, mais savoir s'adapter est l'ultime signe d'intelligence - ce n'est pas moi qui le dis -. Les plate-formes existantes pour la communication ont été investies depuis belle lurette... et souvent heureusement en dehors des préconisations surannées et des pudeurs de jeune fille du ministère qui aujourd'hui sont dépassées. Ce qui prime pour nous heureusement c'est l'efficacité, et nous n'avons pas de notre côté les réticences virginales de soi-disant élites totalement dépassées.
Il sera passionnant de faire le point, une fois la crise passée. Et puis il faudra régler les comptes aussi. Fiez-vous à moi pour ça. Parce que si le ministère s'imagine que les français ou les enseignants auront vite oublié, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu'à la clavicule. Du moins pour le milieu enseignant. Pour moi cette semaine l'Education nationale est morte. Dans sa forme actuelle. Le système est proprement décédé et enterré. Et il pue. Requiescat in pace. Est-ce que je m'en réjouis ? Non. C'est un désastre. Mais il faudra bien que les politiques dans leur ensemble réalisent que désormais seule peut compter une forme d'enseignement adaptée aux réalités du terrain, aux spécificités locales, aux besoins concrets des territoires. Finies la bien-pensance, l'égalité illusoire, les injonctions dénuées de sens, le tout qui vient de Paris, les obsessions ministérielles qui s'imposent à tous sans réflexion ni à-propos. Pour répondre à une question simple et concrète :
Qui c'est qui bosse ?
(merci et bravo Gérard pour l'illustration !)
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